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Jamais, à coup sûr, la monarchie n’a eu à traverser une aussi rude épreuve que celle qui lui a été infligée par la révolution actuelle, et cette crise même ne fait que montrer une fois de plus la force du principe monarchique en Espagne. Voici en effet une royauté prisonnière, dépendante, sans action, réduite à voir toutes ses prérogatives contestées : elle ne subsiste pas moins, et peut-être pourrait-on dire que la reine Isabelle est plus populaire aujourd’hui qu’il y a un an. Aux yeux du pays, elle est la personnification de toutes les espérances nouvelles. Espagnole et très Espagnole, elle aime à flatter les goûts et les instincts nationaux. Elle a reçu le nom d’Isabelle la Contrariée, et il n’est point peut-être jusqu’à ce surnom, si bien placé, qui ne réveille l’intérêt en sa faveur. La reine Isabelle n’a pu songer à soutenir une lutte impossible ; la révolution une fois accomplie, elle s’est prêtée à tout, bien qu’elle ait, dit-on, constaté à plusieurs reprises qu’elle n’agissait plus librement. Comme femme, elle a pu plier sans déshonneur ; elle n’a opposé aucun obstacle aux combinaisons politiques qu’on lui proposait. Gouvernement et congrès, elle les a laissés entièrement libres de disposer du pouvoir, et plus d’une fois sa finesse et sa prudence ont atténué des crises intérieures. La reine Isabelle n’a eu la pensée d’une résistance que sur un point : c’est l’affaire de la loi de désamortissement, qui est venue révéler soudainement les impossibilités et les périls de la situation de l’Espagne, en mettant en présence le ministère, la royauté et les cortès dans une de ces scènes qui peuvent décider de la destinée d’un pays. Pour la reine, ce n’était point une question politique ; c’était un scrupule de conscience ; elle se sentait liée par un concordat, et on lui demandait de signer la violation de son engagement. On s’est étonné que la reine Isabelle n’eût point exprimé ses scrupules lors de la présentation de la loi, au lieu d’attendre l’heure tardive de la sanction pour résister. Il n’y a qu’une chose à dire, c’est que lors de la présentation de la loi aux cortès, il y avait eu déjà au palais de Madrid une scène des plus graves, qui a seulement moins retenti au dehors.

C’est le 5 février que le duc de la Victoire se présentait au palais avec les autres ministres pour tenir un conseil extraordinaire. Les ministres furent introduits, et Espartero dit à la reine qu’il venait réclamer sa signature pour présenter la loi de désamortissement au congrès. Isabelle demanda si les biens de l’église étaient compris dans le projet, demeurant résolue pour sa part à respecter le concordat. On lui répondit que ces biens étaient compris effectivement dans la loi, mais qu’il fallait qu’elle signât, ou que le cabinet donnerait sa démission et l’abandonnerait. Le duc de la Victoire se servit même des termes les plus vifs. La scène s’aggrava par degrés,