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peu vraisemblable, ou du moins n’est pas prise dans un fait commun de nos mœurs. Chez Ménandre, c’était l’expression d’un état bien réel, d’une lutte journalière, résultant d’une ancienne pratique combattue par des causes nouvelles ; d’une révolution enfin qui allait changer la condition de la femme, chose assurément très importante, et qui imprime un caractère vraiment sérieux et historique a ces disputes de ménage.

Un autre texte devenu lieu commun dans nos comédies modernes, mais qui ne l’était pas alors, ce sont les mariages d’argent. Comme la femme se prévaut de sa dot pour soutenir ses droits, ou les dépasser ! et comme les maris pestent entre eux pour avoir trop cherché la fortune ! comme ils discutent les règles qu’il aurait fallu observer pour faire un mariage bien assorti ! « Faut-il, grands dieux, que j’aie épousé cette Crobyla, une petite femme d’une coudée, parce qu’elle était riche de seize talens ! » — « Nous aurions dû, dit un autre qui semble avoir approfondi la question, nous comporter en nous mariant comme on fait quand on achète quelque chose. À quoi bon s’informer de tant de choses inutiles : qui était le grand-père de la future, qui était sa grand’mère, tandis qu’on ne s’informe, pas du caractère de celle qu’on veut épouser, et avec qui il faudra passer sa vie ?… On vérifie l’argent, qui ne restera pas cinq mois au logis ; mais celle qui restera là toute sa vie, on ne la vérifie point ; on la prend au hasard, telle quelle, quinteuse, colère, chagrine, bavarde. Oh ! quant à moi, je vais conduire ma fille par toute la ville ; si quelqu’un en veut, qu’il parle, qu’il examine bien quel fléau il va prendre chez lui, car c’est toujours un fléau qu’une femme, et bien heureux celui qui trouve le moindre ! » C’est là une boutade à la façon de Sganarelle ; mais il y a aussi des consolateurs, des Philintes, qui prennent toutes les choses raisonnablement, et qui pèsent les biens et les maux. « Vous prenez mal la chose, dit cet autre ; vous ne voyez dans le mariage que le côté fâcheux et désolant, mais vous n’en regardez pas les avantages. Nulle part, mon cher Simyle, vous ne trouverez un bien qui ne soit mélangé de quelque mal. Une femme riche est ennuyeuse, c’est vrai : elle ne vous laisse pas vivre à votre guise ; mais voyez donc quels avantages elle vous procure, des enfans d’abord ; ensuite, si vous tombez malade, elle vous entoure de soins assidus, elle reste votre compagne dans le malheur ; mort, elle vous ensevelit, et vous fait enterrer honorablement. Voilà ce qu’il faut voir quand le chagrin vous prend dans les tracas du ménage. Comme cela, vous pourrez tout supporter ; mais si vous aimez mieux ne songer qu’à vos ennuis sans rien mettre en balance, vous souffrirez jusqu’au dernier moment. ». Il y a peut-être quelque ironie dans cette tirade : nous n’en savons rien, la réplique nous manque ;