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aujourd’hui. J’en ai dit assez pour caractériser l’homme ; le moment est venu d’examiner ses œuvres.

Pour estimer avec équité les travaux de Fogelberg, pour comprendre toute l’étendue de la route qu’il a parcourue, il convient de les diviser en trois classes. Cette division nous rendra un double service : non-seulement elle nous permettra d’apprécier plus nettement le mérite individuel des figures qui appartiennent au même ordre d’idées, mais elle nous montrera l’itinéraire de son intelligence. Or voici la division qui se présente naturellement. Dans la première classe, il faut ranger toutes les figures empruntées à la mythologie antique. Dans ces œuvres, composées avec un soin exquis, Fogelberg applique les leçons de Pierre Guérin, et ne va guère au-delà. Il profite, il est vrai, des conseils que lui offrent les musées du Vatican et du Capitole ; mais il n’essaie pas encore de marcher par lui-même, sans le secours de son avant-dernier maître. Dans la seconde classe, nous devons placer toutes les figures empruntées à la mythologie Scandinave. Ici, les leçons de Pierre Guérin ne peuvent plus le guider. Malgré sa profonde vénération pour l’artiste éminent qui lui a révélé le secret de la vraie beauté, malgré la timidité naturelle de son caractère, il est forcé de se frayer une route nouvelle. Il étudie avec ardeur les légendes de son pays, il cherche en lui-même et dans le souvenir de ses lectures les types qu’il doit modeler. Il se défie de ses facultés, il hésite, il tâtonne ; mais enfin sa persévérance est récompensée par une originalité féconde qui étonne ses amis, et qui l’étonne lui-même. Il se croyait condamné à une éternelle obéissance, et la nécessité de traiter des sujets nouveaux lui révèle en lui-même une puissance inattendue dont il n’avait pas conscience. Dès ce moment, il s’établit en maître dans le domaine de l’art ; il consulte les anciens, mais ne les imite plus. Il voit s’agrandir d’une manière indéfinie la série des travaux qu’il peut entreprendre. Ce qu’il demande à l’antiquité, c’est la pureté des lignes, le choix de la forme ; quant à l’idée, quant au sentiment à exprimer, il ne les demande qu’à la méditation. Quand il s’occupait exclusivement de la mythologie grecque, il lui arrivait de dédaigner et de repousser comme dangereux tel sujet proposé par un ami. Il répondait : Les Grecs ne l’ont pas traité, et cette réponse mettait sa conscience en repos. Une fois entré dans la mythologie Scandinave, il ne pouvait plus persévérer dans ses scrupules, à moins de dénaturer les dieux du Nord en essayant de les ramener aux types grecs. Il n’en fit rien, et il eut raison. Il tenta de concilier le témoignage des légendes nationales, c’est-à-dire le côté expressif des sujets qui lui étaient confiés, avec les principes établis et démontrés par les grandes écoles d’Egine, de Sycione et d’Athènes. Et quelle que fut la difficulté du problème, on ne peut