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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1316

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dans l’ombre ! Ah !! malheur à Élisabeth si Robert découvre son secret ! Quoi ! cette femme dont il avait déjà si bien transformé les croyances, c’est une sœur de charité, une sœur des pauvres, une des diaconesses de M. Wichern ! Les railleries de ses amis du club le pousseront à des fureurs bouffonnes, et il menacera Élisabeth d’une éternelle séparation. La pauvre femme est-elle assez forte pour supporter la pensée du divorce ? Ce Robert, si dégradé qu’il soit, est encore le dernier appui qui lui reste contre les entraînemens de sa propre passion. Déjà folle de douleur et d’épouvante, elle s’humilie devant Robert et promet de lui sacrifier tout ; oui, tout, sa vie nouvelle, ses œuvres de charité, ses efforts, ses dernières croyances, sa foi au Dieu personnel et vivant, qui n’est pas seulement le Dieu de l’Évangile, mais le Dieu de la conscience humaine dans tous les siècles, elle rejette tout avec une fureur insensée ! Robert a dit vrai : il n’y a pas de Dieu au-dessus de l’homme. Ainsi elle s’exalte, ainsi elle s’étourdit elle-même et répète, presque sans les comprendre, les formules du docteur hégélien. Hélas ! la punition sera terrible ; Élisabeth était folle de crainte, la vraie folie s’abattra bientôt sur ce beau front et le meurtrira de ses sanglantes épines. Un jour, en conduisant l’enfant à la promenade, la servante tombe tout à coup au milieu d’une émeute ; on se bat, les pierres volent, l’enfant d’Élisabeth en reçoit une à la tête. Avec quelle tendresse éplorée la pauvre mère passe les jours et les nuits auprès du pauvre petit blessé ! Une nuit qu’elle l’avait couché auprès d’elle, elle l’étouffé pendant son sommeil. Ebranlée par tant de coups, sa raison succombe. Il semble alors que Robert soit ému, et que tout ce qu’il y avait de meilleur en lui se réveille miraculeusement. Il se rappelle cette belle jeune fille qu’il a tant aimée, il songe à ce qu’elle est devenue entre ses mains, il s’attache à elle, il veut lui rendre sa sérénité d’autrefois, il lui parle de Dieu ; mais quel peut être dans sa bouche l’effet d’un tel langage ? Comme ce personnage de la ballade de Goethe qui a déchaîné les agens démoniaques et qui ne sait plus les conjurer, il est accablé sous le sentiment de son impuissance. Dieu, pour la pauvre malade, savez-vous où il est ? C’est Robert, tel est le délire qui la possède, et ce Dieu, elle en a peur, elle l’implore avec épouvante, elle le supplie d’avoir pitié de sa faiblesse et de lui rendre son enfant. C’est là une des scènes les plus fortes de cette navrante peinture. Qu’ajouter après cela ? Dégoûté d’une cure impossible, Robert retourne à sa propagande, et l’auteur accumule encore ici les scènes burlesques, les satires charivariques, jusqu’à l’heure où la pauvre folle, après avoir donné du poison à son mari pour s’assurer s’il est véritablement Dieu, est comme guérie ou réveillée par le sentiment de son crime. Alors elle a horreur d’elle-même, elle s’enfuit