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toutes ces associations. Bien conduites, elles sont destinées à se transformer ; mal conduites, à s’anéantir ; aucune d’elles n’échappera à cette alternative.

Il est des esprits, et dans le nombre de fort judicieux, qui attendent un meilleur effet de l’association entre patrons et ouvriers. Ils s’appuient de quelques exemples, notamment des dispositions prises par certaines compagnies de chemins de fer vis-à-vis de leurs employés. En examinant de près les choses, il m’est impossible de partager ces illusions. L’association entre patrons et ouvriers ne deviendra pas, ne peut pas devenir un fait général dans l’industrie ; elle ne s’y produira que comme un accident et s’y réduira à des cas isolés. Il n’y a point là d’ailleurs d’association ; il y a une libéralité volontaire de la part des entrepreneurs. Y souscriront-ils ? C’est la question. Si les uns le font et si les autres s’y refusent, c’est une force de moins pour les premiers et un avantage pour les seconds dans les luttes de la concurrence. Ainsi, sauf quelques établissemens privilégiés, tous s’abstiendront dès qu’un seul s’abstiendra, afin de maintenir leurs positions respectives. À cela, il est vrai, on répond que le sacrifice n’est qu’apparent et que la libéralité cache un calcul adroit. On dit qu’associés aux bénéfices de la manufacture, les ouvriers y aideront plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, et feront recouvrer à l’entrepreneur, par un meilleur emploi du temps et des matières, bien au-delà des sommes dont il se sera volontairement dessaisi en leur faveur. C’est là ce que j’ai entendu répéter souvent et ce que j’ai lui dans beaucoup d’ouvrages ; il me serait doux de croire à ces résultats si les faits les confirmaient. Malheureusement ils y opposent des démentis formels et multipliés. Dans aucun des établissemens où le régime de l’association entre patrons et ouvriers a été mis en vigueur, ceux-ci ne semblent avoir répondu à cet acte de largesse par un zèle plus grand ni un travail plus fructueux. Il n’est pas prouvé non plus que ces établissemens, où un profit éventuel s’ajoute au salaire, aient été recherchés par les ouvriers, ni que les autres ateliers y aient versé leurs meilleurs sujets. Rien de pareil n’a été constaté, et s’il s’est produit un mouvement, c’est plutôt dans le sens contraire. Ainsi, à quelque point de vue qu’on les envisage, ces associations ne supportent pas un examen approfondi ; elles n’ont ni raison d’être, ni éléments du durée ; elles procèdent d’une méconnaissance complète du cœur humain. Habitué comme il l’est à pénétrer au fond des choses, M. John Stuart Mill fût arrivé à cette conclusion, si son esprit n’eût cédé à d’autres influences. Est-ce chez lui pendant à l’esprit de secte ou besoin de popularité ? On ne saurait le dire. Toujours est-il qu’au lieu de dominer son sujet, il ne l’a traité que d’une manière superficielle et en s’aidant de quelques