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eut. Une foule avide frappait aux portes du conseil, et la crise manufacturière sévissait de plus en plus ; l’essentiel était d’aller vite. L’esprit du décret y portait aussi ; il avait été voté d’urgence et demandait à être appliqué de la même façon.

La répartition du crédit des trois millions s’opéra donc à la hâte avec un mélange de bons et de mauvais élémens. 2,600,000 francs environ furent distribués à cinquante-six associations, dont trente avaient leur siège à Paris, vingt-six dans les départemens. À Paris, sur trente sociétés, vingt-sept étaient contractées entre ouvriers seulement et trois au plus entre patrons et ouvriers. Dans les départemens, sur vingt-six sociétés, quinze étaient entre patrons et ouvriers, onze entre ouvriers seulement. Les trente établissemens de Paris réunissaient à l’origine quatre cent trente-quatre associés ; les vingt-six établissemens de province, un nombre d’ouvriers qui n’a pu être déterminé, mais qui ne devait pas dépasser douze cents[1].

Ce n’était pas tout cependant que de fournir de l’argent à ces associations et de le leur fournir au taux le plus modéré, 3 pour 100 pour les prêts de 25,000 francs et au-dessous, 4 pour 100 pour les prêts qui excédaient 25,000 fr. : il fallait encore les constituer sur un pied qui leur permît de vivre, et qui présentât quelque garantie de remboursement. De là un ensemble de statuts que le conseil d’encouragement se vit obligé de dresser lui-même, et d’imposer ensuite aux associations favorisées, comme une conséquence rigoureuse des avances que l’état allait leur faire. Comme on le devine, la rédaction de ces statuts ne fut point une besogne facile ; à chaque pas, des inconvéniens, des objections, des embarras s’élevaient ; ils se succèdent toujours quand on est engagé dans une fausse voie.

Et d’abord, sous quel régime allait-on associer des ouvriers ? Le code de commerce en admet plusieurs qui ne leur étaient point applicables. Impossible de songer à la société anonyme, ni à la société en commandite, ni même à la société en participation. Le conseil d’encouragement ne voulut pas marquer ses débuts par une fiction ; il se décida à donner aux choses leur véritable caractère, et plaça donc ces associations entre ouvriers sous l’empire de la société en nom collectif, c’est-à-dire qu’aux termes mêmes du code, ces

  1. Nous n’avons point à énumérer ici les corps d’état admis aux bénéfices de cette répartition. Qu’il nous suffise de remarquer qu’une foule de professions utiles (les maçons, les charpentiers, les tailleurs, les cordonniers) en étaient exclues, parce que les ouvriers de ces corps d’état, plus vivement atteints que les autres de l’esprit de révolte, avaient présenté au conseil des plans impraticables. Parmi les co. ps d’état admis à profiter des subsides, on comptait des typographes, des mécaniciens, des ébénistes ou tourneurs en chaises, des fabricans de châles, de registres, de tricots, de tissus, d’instrumens de chirurgie et de musique, des verriers, des tisserands, des filateurs, des horlogers, etc.