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grande, que les anciens partis en furent comme éclipsés. En 1838, ce n’était qu’une agitation ; en 1841, ce fut une révolution, accompagnée de signes tels que sir Robert Peel lui-même ne craignit pas d’incliner devant elle et ses opinions et son drapeau. Une fois la brèche ouverte, tout capitula ; les partis vaincus livrèrent leurs dernières défenses. À la suite du privilège territorial, et comme accessoires obligés, tombèrent successivement le privilège manufacturier et le privilège de navigation, si bien que de ce mur d’airain élevé et maintenu contre l’activité étrangère, il ne reste plus rien aujourd’hui, pas même des vestiges. Telle est en Angleterre la seconde période de l’économie politique, celle où les faits prévalent sur la théorie.

Mais il est dans la destinée des hommes d’action de ne jamais s’arrêter à temps et de dépasser les limites naturelles des choses. Après un triomphe si complet, que restait-il à faire, si ce n’est à désarmer ? L’agitation avait atteint son objet et si pleinement, qu’il ne se présentait plus de poursuite plausible. Point d’exclusions à combattre, point de barrières à renverser ; sauf quelques détails insignifians, la liberté des échanges était devenue de droit commun. Et pourtant les vainqueurs ne se résignèrent pas au repos : l’esprit de conquête les animait encore ; il fallut lui chercher et lui trouver d’autres alimens. Cette fois le choix ne fut pas heureux ; l’événement le prouva bien. Les apôtres des réformes économiques essayèrent de se transformer en apôtres de la paix et d’entraîner leurs cliens dans cette nouvelle croisade. Hélas ! la foule ne suit ses guides que lorsqu’ils marchent du côté où la poussent ses instincts ou ses intérêts ; elle les abandonne sans pitié, quand ils se trompent de chemin. M. Cobden et ses amis ont pu s’en assurer. Ni la popularité acquise, ni les services rendus ne les ont garantis contre ce retour de l’opinion. Au début de la conflagration de l’Europe, le châtiment n’a pas été bien rude : ce n’était qu’un abandon, mêlé d’ironie ; mais depuis que la guerre sévit et que l’honneur du drapeau est engagé, cet abandon a presque le caractère d’une disgrâce.

Voilà dans quelles circonstances M. John Stuart Mill s’est proposé d’écrire un traité d’économie politique, et, à l’envisager ainsi, la tâche n’était point aisée. Que dire, en fait de théories, qui n’eût été dit par des hommes plus savans et plus autorisés ? Que poursuivre, en matière d’application, là où le souffle des vérités économiques a pénétré dans les institutions, dans les mœurs, dans les intérêts et dans les habitudes des régnicoles ? Quand on se présente au public un livre à la main, c’est avec la prétention de l’instruire ou de le servir. Sur quoi M. John Stuart Mill pouvait-il fonder cette prétention ? Diverses voies s’offraient à lui. Il pouvait imiter M. Carey, qui semble avoir pris à tâche, avec la turbulence et l’opiniâtreté