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avec lesquels vous êtes en contact les maux énormes qui se pressent sur nos pas, et dont vous pouvez entendre déjà l’approche, si vous voulez prêter l’oreille ; c’est à vous d’encourager toute politique qui cherchera à arrêter des événemens qui, si on les laisse venir, seront les plus désastreux que puisse voir notre génération. »

Comme pour justifier ces sombres pronostics, l’émeute envahissait les grandes villes. Des milliers d’ouvriers sans travail parcoururent et terrifièrent les quartiers de l’est de Londres et les rues de Liverpool, en criant : Du pain ! On leur fit des distributions de vivres, mais les provisions n’y purent suffire ; les boutiques furent forcées et dévalisées, l’épouvante régna pendant plusieurs jours, les troupes furent consignées, et ce fut avec peine qu’on évita l’extrémité toujours redoutable de l’emploi des armes.

La crise gouvernementale se prolongeait, et lord Palmerston fut enfin réduit à retomber dans l’antique ornière d’un pur ministère whig. Ainsi finit, et pour toujours, la coalition des nuances libérales et conservatrices qu’avait créée Robert Peel, et les divers éléments qui la composaient se trouvèrent libres de retourner à leurs affinités naturelles.

La reconstruction du ministère donna une nouvelle et flagrante preuve de l’impuissance et de la pauvreté des partis et des hommes. On avait cru que lord Palmerston, ce représentant de la Jeune Angleterre, allait infuser un peu de jeune sang dans les veines du pouvoir et faire appel à quelques hommes nouveaux ; on le vit avec une stupéfaction mêlée d’alarme recruter ce qu’il y avait de plus routinier et de plus exclusif dans l’ancien parti whig. Le nouveau ministère fut composé presqu’entièrement comme l’était celui de lord Melbourne : ce fut une espèce d’exhumation, et, pour la rendre complète, lord John Russell fit sa réapparition sous la double forme de ministre des colonies et de ministre plénipotentiaire.

Selon l’usage, les membres du cabinet qui venaient de se retirer donnèrent dans le parlement l’explication de leur conduite. Sir James Graham parla le premier et démontra éloquemment les dangers que présentait l’enquête, comme usurpant les fonctions du pouvoir exécutif. « Loin de moi, dit-il, de contester les pouvoirs de cette chambre ! Je ne connais rien ni si haut ni si loin qu’elle ne puisse atteindre. Ma vie politique tout entière s’est écoulée dans cette enceinte, et le suprême effort de ma jeunesse et de mon âge mûr a été de travailler à accroître l’influence démocratique de la chambre des communes. Dans sa sphère légitime, nul n’applaudit plus que moi à sa puissance. Elle contrôle la nomination des ministres, elle est, comme branche de la législature, l’égale de la chambre des lords, et elle est plus qu’elle par le vote des impôts et des budgets. Elle est le grand