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Phocas les convoqua tous à Jérusalem pour l’accomplissement de son dessein secret, et à mesure qu’ils arrivaient, des soldats, préfet en tête, les conduisaient à l’évêque, qui les baptisait, ils eussent plutôt noyé les néophytes dans la piscine que de les laisser partir sans baptême. Ces apôtres d’une nouvelle espèce parcoururent ainsi, pour le salut de l’âme de Phocas, tous les lieux de l’Egypte et de la Syrie habités par des Juifs, pourchassant et ressaisissant l’un après l’autre ceux qui leur avaient d’abord échappé. L’Asie romaine fut en combustion : les Juifs, répondant à la violence par des trahisons, s’entendirent pour surprendre la ville de Tyr pendant la fête de Pâques et y égorger les chrétiens ; le complot découvert fit tomber sur eux de dures représailles qui n’amenèrent que de nouveaux complots. Ils s’adressèrent à Khosroës, lui promettant de livrer à ses troupes toutes les villes romaines de la Palestine, s’il voulait les assister et les venger. Ainsi guerre étrangère, guerre civile et religieuse, trahisons, violences, Héraclius avait tout à conjurer au début de son règne.

Il essaya de le faire, et tout lui manqua à la fois. La guerre lui réussit mal avec des soldats indisciplinés et lâches ; quand il parla de paix, Khosroës, avant toute négociation, lui proposa de renier Jésus-Christ pour adorer son dieu Soleil. Ses efforts pour apaiser les Juifs par des traitemens meilleurs et des promesses tournèrent contre lui : les Juifs n’en devinrent que plus insolens et plus hardis dans leurs menées, pensant qu’il avait peur. Le mauvais succès de toutes ces tentatives porta le découragement dans le cœur des Romains ; les provinces asiatiques cessèrent de résister à, une destinée qui semblait irrévocable, tandis que les provinces européennes, que rien de pareil ne menaçait, détournaient les yeux et s’endormaient dans un égoïsme cruel. L’empire romain glissait avec rapidité vers sa ruine, lorsqu’une secousse heureuse l’arrêta sur la pente et lui rendit l’énergie qu’il ne possédait plus : ce fut la religion qui opéra ce miracle.

L’année 615 avait été marquée par les Perses et les Juifs pour être la dernière des chrétiens sur toute la surface de la Palestine. En effet, vers la fin du mois de mai, une armée formidable, que commandait Roumisan, surnommé Schaharbarz, c’est-à-dire le sanglier royal, général habile, mais cruel, et l’allié du roi Khosroës, vint fondre sur la Galilée et parcourut les deux rives du Jourdain, depuis sa source jusqu’à son embouchure, en n’y laissant que des ruines. Une nombreuse population chrétienne se pressait dans ces lieux sanctifiés par la prédication de l’Évangile. Le Sanglier royal la traita comme les généraux de Salmanazar et de Nabuchodonosor traitaient jadis le peuple d’Israël. Après le sac et l’incendie des maisons, les habitans, enchaînés les uns aux autres, étaient traînés en esclavage pour aller coloniser sous le fouet des Perses les marécages de