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l’apparence d’une fuite, il fit crier par des hérauts, près des murs et des portes de la ville, ces paroles qu’il adressait aux assiégés : « Ne pensez pas, Romains, que la crainte nie chasse d’ici ; je pars parce que je manque de vivres et que j’ai mal pris mon temps pour vous attaquer ; mais nous nous reverrons bientôt, et vous me paierez alors au centuple les maux que vous m’avez faits. » Son arrière-garde resta encore en vue de Constantinople jusqu’au vendredi soir, afin de couvrir la retraite, et elle acheva de dévaster le peu d’édifices de la banlieue que les autres avaient épargnés. Le chef de cette troupe, on ne sait pourquoi, voulut avoir une conférence avec Bonus, ou du moins avec quelques personnages romains de distinction, au nom du kha-kan ; mais Bonus s’y refusa. « Le pouvoir dont j’ai usé jusqu’à ce jour de traiter de la paix, lui fit-il dire, m’est enlevé aujourd’hui ; annonce-le à ton kha-kan. Le frère de notre auguste empereur arrive avec une armée qu’il va faire passer en Europe, et il se propose de vous reconduire lui-même dans votre pays, où vous pourrez traiter ensemble, si cela vous convient. » Théodore, chargé par Héraclius du commandement de l’armée romaine en Mésopotamie, venait de remporter une grande victoire sur les Perses dans les plaines de la Petite-Arménie, et les Avars ne l’ignoraient point : son nom suffit pour précipiter leur retraite.

La première pensée des assiégés, dès qu’ils purent sortir de leurs murs, fut d’aller rendre grâce à leur patronne, la Toute-Sainte, dans son église de Sainte-Marie de Blakhernes, et de déposer à ses pieds leur palme de victoire. Parmi tous ces héros chez qui l’antique vertu romaine avait refleuri au souffle du christianisme, pas un ne se glorifiait, pas un ne rapportait à lui-même son propre salut ou le salut de la ville ; tous disaient : « Qui nous a sauvés, sinon la Panagia ? » Son intervention dans les diverses péripéties du siège avait été visible pour tout le monde, et dans de pieuses confidences on se racontait mutuellement ses merveilles. On l’avait vue couvrir la ville d’un bouclier, foudroyer les Avars, briser leurs machines ; on l’avait reconnue dans le combat naval de Khelœ, quand les flots s’étaient agités d’eux-mêmes sous un ciel serein pour engloutir les impies : le calme et la tempête, disait-on, n’obéissent-ils pas à l’étoile des mers ? La croyance en l’intervention directe de la Vierge dans les événemens du siège avait passé jusque dans le camp barbare : tandis que les Romains lui attribuaient leur victoire, les Avars l’accusaient de leur défaite. Un jour que le kha-kan examinait en compagnie de ses officiers l’état des murailles de la ville, on l’entendit s’écrier tout à coup : « J’aperçois là-bas une femme qui parcourt le rempart ; elle est seule et en habits magnifiques. » Une autre fois, ses soldats virent approcher de leurs retranchemens une dame romaine d’une beauté admirable, qui