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lorsque le véritable Bou-Maza reparut tout à coup chez les Flittas, une des tribus les plus belliqueuses de l'Algérie, habitant un pays très difficile. Le général Bourjolly marcha aussitôt contre le prétendu prophète; mais il avait des forces insuffisantes, et il dut soutenir un combat acharné, dont le principal effort porta sur le 4e régiment de chasseurs d'Afrique et le 9e bataillon d'Orléans. Ces deux troupes firent des prodiges de valeur; toutes deux perdirent leur chef. Il fallait entendre les uns et les autres parler réciproquement de leurs compagnons de gloire et de périls : les uns racontant par quels exploits des chasseurs à cheval avaient sauvé les restes du lieutenant-colonel Berthier[1] ; les autres redisant comment les chasseurs à pied, inébranlables, quoique sans cartouches, protégeaient le corps du commandant Clère avec leurs terribles baïonnettes-sabres, rouges de sang jusqu'à la douille !

Presque le même jour, le 8e bataillon succombait, mais avec gloire, dans une épouvantable catastrophe. Nous occupions depuis un an, près des frontières du Maroc, une petite crique appelée Djemaa-Ghazouat, mouillage fort médiocre, mais le meilleur de cette plage inhospitalière et le seul point d'où l'on pût assurer le ravitaillement des colonnes qui opéraient dans cette partie sans cesse agitée de nos possessions. Bien qu'on y eût déjà créé quelques établissemens, les défenses en étaient à peine ébauchées; aussi le commandement en avait-il été confié à un officier d'une vigueur et d'une résolution bien connues, le lieutenant-colonel de Montagnac. Comme tout semblait tranquille sur la frontière, on avait, pour faciliter les subsistances et les fourrages, réuni à Djemaa plus d'infanterie et surtout de cavalerie qu'il n'en fallait pour la défense de ce petit poste. Tout à coup on apprend qu'Abd-el-Kader a rassemblé des forces nouvelles et qu'il envahit notre territoire. Le général Cavaignac, qui commandait à Tlemcen, s'empresse de concentrer ses troupes: il envoie en conséquence des ordres à Djemaa; mais Montagnac était déjà en campagne. Informé que l'émir allait attaquer la tribu des Souhalia, qui nous avait donné de nombreuses preuves de fidélité, il avait cru que l'honneur ne lui permettait pas de laisser nos alliés sans secours, et, malgré la défense formelle qui lui en avait été faite, il sortit avec soixante-deux cavaliers du 2e hussards et trois cent cinquante hommes du 8e d'Orléans. En vain reçoit-il à son premier bivouac les ordres de son général : avant de les exécuter, il veut avoir repoussé l'ennemi; entraîné par sa bouillante ardeur, égaré par de faux renseignemens, il laisse dans son camp le commandant Froment-Coste du 8e bataillon, et s'avance avec sa cavalerie, appuyée par deux

  1. Ancien officier d'ordonnance du roi Louis-Philippe.