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dispose artistement à côté les uns des autres, et, solidement collés par la base, ils restent ainsi livrés à mille hasards. L’immense ma jorité périt sans doute, mais toujours quelque couvée arrive à bien et assure la conservation de l’espèce.

De ces œufs, chacun le sait, sort une espèce de ver, une chenille, qui pour devenir papillon devra passer par l’état intermédiaire de chrysalide. Suivons-la dans cette série de modifications en commençant par les changemens extérieurs.

L’œuf pondu par notre piéride est bien plus petit qu’un grain de millet, et au moment de l’éclosion la chenille est d’une taille proportionnée; parvenue au terme de sa croissance, elle a acquis à peu près quatre centimètres de long sur cinq millimètres de large et quatre d’épaisseur. On voit combien est énorme la différence de volume entre ces deux termes et avec quelle rapidité s’effectue ici l’accroissement, qui de plus semble ne pas être continu et graduel comme chez la plupart des autres animaux. On dirait qu’il se fait brusquement et par ressauts à chacune de ces crises que l’on désigne sous le nom de mues. En effet, après sa sortie de l’œuf, la jeune chenille mange avec une voracité que ne connaissent que trop les jardiniers, et pourtant son volume ne change pas. Au bout de quelques jours, ce gros appétit s’arrête; la chenille devient languissante, ses couleurs pâlissent, sa peau semble se dessécher. L’animal cherche alors un abri. Si on le suit dans cette retraite, on le voit se cramponner fortement au sol, gonfler et contracter alternativement son corps en se contournant en tout sens, s’arrêter par momens comme épuisé, puis recommencer de plus belle. Parfois des heures entières se passent avant qu’on puisse reconnaître le but de ces fatigantes manœuvres; mais enfin la peau éclate vers le second ou le troisième anneau, et la fente se prolonge sur la ligne médiane jusqu’aux deux extrémités. À ce moment, la chenille dégage sa tête d’abord, puis le reste du corps, et apparaît couverte d’une peau nouvelle, flexible et plus vivement colorée que jamais. En même temps sa taille a considérablement augmenté, et il ne serait plus possible de la faire rentrer dans ce fourreau qui l’enveloppait quelques minutes auparavant. Ses organes progressivement accrus, mais tassés et comprimés par l’ancienne peau, se sont subitement mis au large et ont pris leur véritable volume comme par un effet d’élasticité.

Le phénomène de la mue se reproduit plusieurs fois jusqu’au moment où la chenille a atteint sa taille et ses caractères définitifs. À cette époque, on ne distingue dans notre insecte que deux régions, une tête et un corps. La tête est petite, d’un bleu piqueté de noir, les tégumens en sont comme cornés, et portent six petits yeux