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graduellement, et l’observateur peut constamment suivre de l’œil la marche du développement.

Les grenouilles, que nous prendrons d’abord pour exemple, présentent un autre fait fort curieux et bien différent de ce que nous avons vu jusqu’ici. On peut dire que chez elles l’état de larve est précédé par une période pendant laquelle le jeune animal, quoique déjà sorti de l’œuf, est encore à moitié embryon. À cette époque en effet, l’appareil digestif proprement dit, et à plus forte raison tous ses annexes, n’existent qu’à l’état rudimentaire. Une grosse portion du vitellus ou jaune, englobé par la peau depuis longtemps formée, occupe la plus grande partie du corps, et c’est aux dépens de cette masse alimentaire que l’organisme se complétera. Des caractères extérieurs répondent à cette période d’imperfection organique. La tête est grosse, comme fendue en deux en dessous, et chaque moitié se prolonge en une sorte d’éminence qui sert à l’animal à adhérer aux corps voisins ; il n’existe encore ni yeux, ni oreilles, ni narines, ni organe respiratoire ; le ventre est oblong et se continue en arrière en une queue très courte, à peine bordée par un étroit ruban cutané. Dès le quatrième jour après la naissance, la tête, aussi volumineuse que le corps, a pris presque la forme d’un dé à coudre ; la bouche est entourée de deux lèvres molles ; les narines, les yeux, les oreilles, ont paru ; une fente profonde sépare la tête du ventre, qui est presque sphérique, et dessine un opercule dont le bord porte de chaque côté une petite branchie ramifiée ; enfin la queue a grandi de manière à égaler le corps en longueur. Bientôt la bouche s’arme d’une sorte de bec corné propre à entamer les végétaux ; l’intestin, très long, s’organise et se roule en spirale ; la queue s’allonge et s’élargit ; la petite grenouille prend le nom de têtard.

À ce moment s’accomplit chez elle un de ces changemens qui rentre trop bien dans l’ordre d’idées que nous cherchons à développer pour que nous le passions sous silence. Notre larve de batracien a respiré d’abord par la peau seulement, puis à l’aide de branchies en forme d’arbuscules suspendues sur le bord de l’opercule. Vers le septième ou huitième jour, l’opercule se soude peu à peu au ventre, les branchies extérieures se flétrissent et disparaissent, et en même temps, dans une cavité placée à droite et à gauche du cou sous la peau, il s’en développe de nouvelles et bien plus compliquées. Celles-ci ont la forme de houppes, reposent sur une charpente solide formée par quatre arcs cartilagineux, et sont au nombre de cent douze de chaque côté. On voit qu’il y a eu là et très rapidement substitution d’un organe à un autre pour remplir la même fonction d’une manière toute semblable, car avant comme après,