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et leur armement. La Russie a fait fabriquer un nombre considérable de fusils rayés. L'Angleterre pourvoit toute son armée du Minié riffle, dont le nom a si longtemps préoccupé nos alliés[1]. C'est un des derniers services rendus par le duc de Wellington à son pays. « Nous avons adopté les nouvelles armes, disait-il peu de temps avant sa mort à de jeunes Français; mais nous n'entendons pas pour cela transformer notre infanterie en infanterie légère. » L'illustre vieillard avait bien jugé la question.

Nos bataillons de chasseurs ne sont pas seulement une parfaite infanterie légère, ils sont une excellente troupe de ligne; par la puissance de leur feu, ils peuvent produire dans les sièges et dans les batailles des effets inconnus avant leur existence, et c'est là le grand côté, le côté entièrement nouveau de cette création. Dans le sein de notre armée, elle a produit des résultats immédiats : l'infanterie a reçu une instruction nouvelle qui substituera un feu plus efficace à ces tireries dont le maréchal de Saxe se moquait déjà dans son style original; les manœuvres sont devenues plus rapides; l'uniforme et l'équipement ont été rendus plus commodes, plus légers, bien qu'il y ait encore plus d'un progrès à faire pour les adapter entièrement au métier du soldat. Il serait peut-être bien outrecuidant de vouloir prophétiser l'avenir des armes rayées, de prétendre indiquer, par exemple, les modifications qu'elles peuvent forcer d'introduire dans le matériel et l'emploi de l'artillerie; nous dirons seulement que leur portée est presque double de la portée de but-en-blanc des pièces de campagne, et que la proportion des corps qui en sont pourvus augmente chaque jour dans les armées actuellement engagées. La création des bataillons de chasseurs, si bien comprise, si heureusement exécutée, reste un événement important dans l'histoire militaire. Consacrée par la valeur et l'intelligence des officiers et des soldats français, elle a été le signal et la source de progrès étendus et rapides. Un de ces bataillons attaché à chaque division d'infanterie ajoute une force nouvelle à cette belle institution de nos armées républicaines, maintenue, mais un peu dénaturée sous l'empire par l'abus des corps d'armée, — division qui est restée la base de notre grande organisation de guerre, et qui rappelle avec avantage l'immortelle légion romaine. Ainsi se trouve complété cet admirable ensemble de l'infanterie française, qui réunit les qualités des races du nord et des races du midi, la solidité, la fermeté des unes, l'élan et l'ardeur des autres; c'est la nation armée, in pedite robur.


V. DE MARS.

  1. Beaucoup d'Anglais considéraient le brave commandant Minié comme un mythe, d'autres le croyaient une espèce de Barnum américain.