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contact avec cette étoffe, elles s’étaient humectées de sainteté. C’est là la plus haute manifestation de respect que puissent donner les musulmans, et elle est réservée pour les choses saintes.

Au moment où la caravane se met en mouvement, les salves d’artillerie qui avaient cessé un instant recommencent, la fusillade éclate derechef, et les obusiers de l’escorte, mis à la prolonge, tirent aussi en marchant. Enfin la caravane a passé les murs de la ville, elle est sortie par la porte appelée Bab-Allah (porte de Dieu), et la voilà s’allongeant, serpentant dans la plaine jusqu’au village de Kesouéh, où elle dort le soir. Deux jours après, elle arrive à Mezarib, et y séjourne pour se former, s’organiser. A partir de Mezarib, elle est comme lancée dans l’espace; personne n’en entend plus parler jusqu’au retour.


II.

Malgré ces démonstrations solennelles, s’il est une chose tendant à tomber dans l’oubli en Orient, c’est assurément la caravane qui de Damas se rend à La Mecque; mais, qu’on le remarque bien, je dis la caravane, je ne dis pas le pèlerinage. Le pèlerinage se fait, je crois, toujours avec le même zèle; seulement il a pris et il prend chaque jour davantage de nouvelles voies, et c’est encore là un des résultats produits par la navigation à vapeur. Tous les califes, tous les sultans, toutes les femmes pieuses dont les largesses ont permis de construire ces châteaux qui, au nombre de quarante environ, marquent, jalonnés dans le désert, les étapes de la caravane, auraient-ils pu prévoir qu’un jour la caravane n’existerait que de nom, et que les navires de l’Occident, mus par un moteur nouveau, emporte raient sous des pavillons infidèles la plus grande partie des pèlerins de l’islamisme? On peut se rendre compte de l’avantage qu’offre aujourd’hui la voie de mer comparé aux avantages qu’elle présentait autrefois, en songeant que les pèlerins de l’empire ottoman, tels que ceux de l’Albanie, de la Bosnie, de la Thessalie, de Constantinople, étaient quatre et six mois en mer ou en relâche dans les ports avant d’arriver seulement à Alexandrie. Cela tenait tant au manque d’un service régulier de transport qu’à l’inexpérience des capitaines et à la crainte des pirates. Rendus à Alexandrie, pour traverser l’Egypte seulement, il leur fallait plus d’un mois peut-être. Aujourd’hui, en dix jours, ils peuvent être transportés de chez eux à Suez. Or, quand on est rendu à Suez, le plus long est fait. Aussi l’on peut dire que des gens qui auraient été absens douze ou quinze mois à une autre époque ne le sont guère de nos jours que