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à se faire leur place en Europe ! comme ils méconnaissent résolument tout ce qui fut avant eux !

Parmi les chroniqueurs si nombreux qui suivent plus ou moins la direction de Cosmas et de Dalimil, M. Palacky assigne une place particulière à deux écrivains étrangers qu’on est tout surpris de rencontrer là. Ce sont deux Italiens, Jean de Marignola et Œneas Sylvius Piccolomini. Ce Marignola est certainement l’une des curieuses figures de la littérature italienne au moyen âge. Il était cité comme un des plus savans hommes et des plus ingénieux écrivains de son pays dans le siècle de Pétrarque et de Boccace. Rien de plus original que sa vie. Issu d’une vieille famille de Florence et d’abord professeur à l’université de Bologne, il est envoyé en Asie comme légat du pape, il s’avance courageusement dans ce monde si mystérieux alors, et finit par pénétrer en Chine, où il passe quatre années, accueilli avec curiosité et respect à la cour des empereurs. Il revient ensuite par l’Inde, par le Thibet, sa Bible à la main, cherchant la première demeure d’Adam après la chute, cherchant même le lieu qu’habitait le père de notre race aux jours de « a parfaite innocence. Marignola fut assez heureux pour trouver ce qu’il cherchait, et quand il fut de retour à Avignon, en 1353, après avoir visité les ruines de Babylone, deviné celles de Ninive et parcouru la Palestine, il rapportait au pape Innocent VI des fleurs élyséennes cueillies dans les jardins du paradis. Un tel homme, qui avait passé quatre ans auprès de l’empereur de la Chine et qui arrivait tout droit du paradis terrestre, pouvait-il manquer de protecteurs illustres ? L’empereur d’Allemagne, Charles IV, le fit venir à sa cour, et comme il aimait la Bohême en fils pieux et dévoué, il voulut que l’histoire de sa chère patrie fût écrite par Marignola. Il n’y avait à cela qu’une seule difficulté : Marignola ne savait pas un mot de la langue du pays. L’intrépide voyageur ne recula pas devant l’obstacle ; mais on comprend que ce singulier historiographe de Bohème n’ait pas donné de très utiles leçons à M. Palacky. Son histoire (elle ne fut imprimée qu’en 1668 dans la Rosa bohemica de Bolelucky, et on peut dire qu’aujourd’hui encore elle n’est guère connue que de nom), son histoire est un de ces tableaux confus comme le moyen âge nous en offre en si grand nombre, ébauches puériles et quelquefois touchantes de ces projets d’histoire universelle réservés seulement à la virilité de l’esprit moderne. L’auteur divise son œuvre en trois livres, afin qu’elle porte comme le signe de la sainte Trinité. Vous pouvez demander à la docte analyse de M. Palacky comment ces trois livres traitent tour à tour de l’histoire théarchique du monde, c’est-à-dire de l’histoire sous le gouvernement de Dieu depuis le premier homme jusqu’au déluge, — de l’histoire monarchique, c’est-à-dire de la fondation