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qui, enfermées dans le resplendissant métal, toucheront la face plus resplendissante d’une belle reine ! car, lorsqu’elle daignera y plonger ses lèvres, c’est le reflet de son visage qui blanchira l’argent de la coupe[1]. »

On ne peut être plus aimable et il est impossible que les madrigaux les mieux travaillés l’emportent sur la galanterie exquise de Sidoine Apollinaire. Rien n’indique si dès cette époque il était engagé dans les ordres ecclésiastiques : c’est peut-être encore le poète mondain qui apparaît.

S’il n’avait pas d’autres titres aux yeux de la postérité, Sidoine Apollinaire se présenterait comme un bel esprit, il remplirait la seconde condition du caractère gaulois tracé par Caton, argutè loqui ; mais il serait loin de la première, et rien ne trahirait chez lui l’ardeur des grandes choses, rem militarem. Cependant il n’en est pas ainsi. Devenu évêque, Sidoine en avait pris tous les sentimens, et par conséquent il était le défenseur de la cité. On sait comment les grands évêques du Ve siècle, au milieu de la désorganisation universelle, des invasions continuelles des Barbares, devinrent en même temps les magistrats civils et volontaires de la cité ; on sait comment leur autorité morale suffit souvent à soutenir le courage des citoyens, à effrayer et à écarter les Barbares. Sidoine Apollinaire, à Clermont, était aux avant-postes de l’empire, de la province romaine restée attachée à l’empire, et sur les frontières du royaume que les empereurs avaient été contraints d’accorder aux Visigoths. Les Visigoths, mécontens de leurs frontières, revenaient chaque jour se heurter contre les murailles de Clermont ; de là les efforts de Sidoine pour obtenir l’intervention impériale à l’effet d’arrêter les progrès de la conquête barbare et d’épargner à sa ville épiscopale les horreurs de l’invasion. Longtemps il avait espéré ; longtemps il avait excité l’intrépidité de ses concitoyens à défendre les murs de la ville malgré toutes les horreurs de la famine et de la contagion. Enfin une députation impériale était venue trouver le roi des Visigoths et lui avait proposé une capitulation moyennant laquelle la ville de Clermont lui serait abandonnée ; à ce prix, le prince barbare devait respecter l’intégrité des autres parties de l’empire. Sidoine apprend tout à coup ce traité. Tandis qu’il défendait avec tant d’énergie les murs de sa ville épiscopale, les hommes dans lesquels il avait mis son espérance l’avaient trahi. Alors il écrit à l’un d’eux la lettre suivante ; on ne retrouvera plus ici le bel esprit de tout à l’heure, mais on y trouvera une âme, une chaleur, une verve qui trahissent le caractère de son peuple : « Telle est maintenant le condition de ce malheureux coin de terre, qu’il a moins souffert de la guerre que de la paix. Notre servitude est devenue le prix de la sécurité d’autrui ; ô douleur ! la servitude des Arvernes, qui, si l’on remonte à leurs antiquités, ont osé se dire les frères des Romains, et se compter entre les peuples issus du sang d’ilion ! Si l’on s’arrête à leur gloire moderne, ce sont eux qui, avec leurs seules forces, ont arrêté les armes de l’ennemi public : ce sont eux qui, derrière leurs murailles, n’ont pas redouté les assauts des Goths, et ont renvoyé la terreur dans le camp des Barbares. Voilà donc ce que nous ont mérité la disette, la flamme, le fer, la contagion, les glaives engraissés de sang, les guerriers amaigris de

  1. Sid. Apol., Ep., l. IV, 8, ad Evodium.