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c’est le double aspect sous lequel peut et doit être envisagée la philosophie fondée en France sous la restauration, et devenue, sous le gouvernement de juillet, la nourriture intellectuelle de la jeunesse. Il y a dans cette philosophie un côté excellent que tous les bons esprits doivent glorifier à l’envi, le côté spiritualiste. A coup sûr, de toutes les évolutions de la pensée humaine, le spiritualisme est celle qui développe le plus sûrement la notion du droit. Depuis Platon jusqu’à Descartes, il n’y a pas une pensée généreuse que le spiritualisme ne puisse revendiquer comme sienne. A proprement parler, le spiritualisme est une protestation permanente contre toute injustice, en quelque lieu, en quelque temps qu’elle s’accomplisse. Le sensualisme et le scepticisme conduisent trop facilement aux doctrines les plus égoïstes. Quant au mysticisme, livré tout entier aux conseils d’un monde supérieur, il aboutit presque toujours à l’indifférence. Le spiritualisme est la seule théorie qui soutienne et encourage l’activité humaine, qui enseigne et démontre la nécessité, la légitimité du progrès, qui déclare incomplet tout homme dépourvu de volonté, c’est-à-dire, en d’autres termes, inhabile à comprendre la liberté. Envisagée sous ce rapport, la philosophie française fondée par MM. Royer-Collard, Cousin et Jouffroy ne mériterait que des éloges. C’est à l’Ecosse, c’est à Reid, à Stewart que revient l’honneur de cette heureuse réaction contre les doctrines d’Helvétius et de Condillac; mais ce n’est pas, hélas ! le seul aspect sous lequel nous devions envisager la philosophie française de notre temps. L’Allemagne, qui a rendu à l’histoire de la philosophie des services si éclatans et si nombreux, en est venue à justifier le passé tout entier. A force de chercher la raison des choses, dans son désir de tout expliquer, elle a donné raison à toutes les causes victorieuses, et les chaires de philosophie dans notre pays se sont associées à l’égarement de l’Allemagne. La légitimité absolue du fait accompli, quel qu’il fût, est devenue la monnaie courante de l’enseignement. Pour tous les bons esprits, il est hors de doute qu’une telle conclusion répugne à la nature intime du spiritualisme, et pourtant cette contradiction est un des élémens de la philosophie nouvelle. Il appartient à la génération assise aujourd’hui sur les bancs de nos collèges de la dégager de cet élément impur, et de lui restituer toute sa grandeur et toute son autorité. Non, il n’est pas vrai que dans le passé tout soit juste et légitime. La conscience du genre humain, à tous les momens de l’histoire, proteste hautement contre une doctrine si affligeante. Tous les cœurs généreux, tous les esprits élevés, à quelque pays, à quelque temps qu’ils appartiennent, s’inscrivent contre cette amnistie offerte à l’injustice consommée et promise à l’injustice future. Il faut donc faire deux parts dans la philosophie française de notre temps : la