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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/565

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concilier les suffrages des juges les plus sévères. Quant aux derniers ouvrages de Balzac, je suis loin de partager l’enthousiasme qu’ils ont excité. Les Parens pauvres, utiles peut-être à consulter comme renseignement, ne sont pas une œuvre d’art dans l’acception la plus élevée du mot. Il y a dans cette étude une accumulation de fange qui soulève le cœur de dégoût. C’est là d’ailleurs un défaut commun au plus grand nombre de ses livres. Il observe avec une attention persévérante, il voit bien et se souvient; mais il a pour les vices des yeux de lynx et pour le bien des yeux de taupe. Quand on a passé quelques jours avec lui, on finit par prendre l’humanité tout entière en mépris, on ne va nulle part sans mettre la main sur sa bourse, on regarde avec défiance les femmes les plus jeunes, dont le sourire ingénu, le regard limpide ne devraient inspirer que la sympathie. Il faut quelques semaines pour réagir contre cette maligne jettatura. Ce qui a manqué à Balzac, c’est la connaissance de notre langue, l’intelligence des procédés du style. A cet égard, du reste, il se rendait justice. S’il avait de son talent d’observateur et d’inventeur une idée que les louanges les plus enthousiastes ne pouvaient dépasser, il savait très bien qu’il ignorait les lois de la langue et les secrets du style; il disait naïvement qu’il n’avait pas eu le temps de les étudier.

Dans un récit de longue haleine, la Confession d’un Enfant du siècle, Alfred de Musset n’a pas réalisé toutes les espérances de ses admirateurs; mais dans un cadre plus étroit, dans Frédéric et Bernerette, dans le Fils du Titien, dans les Deux Maîtresses, il a montré une grande finesse d’analyse, une élégance de narration qui ont marqué sa place parmi les premiers écrivains de notre langue. C’est un conteur charmant, dont toutes les pages se recommandent par des qualités de premier ordre. Le choix des images, la sobriété des détails font de ses nouvelles de véritables bijoux.

Marianna et Mademoiselle de La Seiglière assignent à Jules Sandeau un rang éminent dans la famille des romanciers. Il y a dans ces deux livres une connaissance profonde des passions et en même temps un talent singulier pour la peinture du paysage. Simplicité de conception, exécution délicate et savante, l’auteur n’a rien négligé pour exciter et enchaîner l’attention. Par l’élévation des pensées, par la vérité des sentimens qu’il nous retrace, il a conquis dans notre littérature une place à part. Sévère pour lui-même, il n’a jamais gaspillé ses facultés, et c’est un éloge mérité par un trop petit nombre d’écrivains.

N’oublions pas la Chartreuse de Parme, récit énergique, marqué au coin de la vérité, où Henri Beyle a donné la mesure complète de son talent, ni le conteur ingénieux qui vient de mourir, Gérard de