Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mandé ses habits de fête pour faire une visite à tout autre dans le village ? Le curé ne pouvait pas ignorer les relations de Mélan avec Floriane ; s’il parlait, tout était perdu. Joséphine tenta, quoique avec assez peu d’espérance de succès, de détourner le vieillard de son dessein. — Vous n’y songez pas, père, lui dit-elle ; il y a plus d’un an que vous n’avez mis le pied dehors, et vous voulez sortir, malade comme vous êtes, et par ce mauvais temps-là encore ! Vous savez bien que l’humidité ne vous vaut rien.

— Je ne vais qu’à quelques pas, répondit le vieillard ; je serai bientôt revenu.

— Attendez au moins que vous ayez déjeuné. La soupe va être prête ; je vais la tremper dans un instant.

— Non, non, dépêche-toi, je n’ai pas faim ce matin.

Il fallut obéir. La jeune paysanne tira lentement et à contre-cœur du vieux buffet de noyer, où ils étaient précieusement renfermés depuis la Noël précédente, un pantalon et une veste de drap gris-bleu qui ne s’attendaient à être exhibés que lors de la solennité de Pâques. Le brave homme s’habilla aussi lestement que possible, et, sa toilette achevée, se mit immédiatement en route. Une amère inquiétude s’empara de Joséphine quand elle le vit s’éloigner. Elle tremblait pour Mélan ; elle tremblait pour son père, dont la santé, déjà si fortement ébranlée, ne pourrait pas résister peut-être à la terrible secousse qu’elle pressentait. De grosses larmes roulaient dans ses yeux.

Il neigeait. C’était pitié de voir le pauvre vieillard s’avancer avec peine par les chemins boueux du village, malade, le front chargé de soucis. Arrivé à la porte du presbytère, il sonna. La gouvernante du curé vint lui ouvrir. Cette digne femme n’avait qu’un défaut, qu’on devinera aisément après l’avoir entendue souhaiter la bienvenue au bon villageois. — Jeus, dit-elle, ne voilà-t-il pas le père Reverchon qui vient voir M. le curé ! Comment ça va-t-il, père Reverchon ? Ce mariage est donc décidé ? Quand va-t-on à Bas-du-Bois ? Savez-vous que c’est tout de même un beau brin de fille que votre Josète ? Ah çà, pendant que j’y pense, dites donc à Mélan de ne plus aller chez ce mauvais fruitier ; cela fait joliment causer dans le village. Tenez, pas plus tard qu’hier, est-ce qu’on ne m’a pas dit qu’il avait promis le mariage à cette Floriane ? C’est le fruitier lui-même qui le raconte partout. Mais entrez donc, père Reverchon ; ne restez pas comme cela sur la porte ; savez-vous qu’il y a de quoi attraper un bon rhume ? Notre abbé est dans le village ; il ne tardera pas à rentrer.

Le vieillard resta accablé par ces révélations. Il balbutia deux ou trois mots pour s’excuser de ne pas entrer à la cure, et reprit, plein de tristesse et de colère, le chemin de Champ-de-l’Épine. En le voyant revenir si tôt, Joséphine eut un instant d’espérance. Il ne devait pas avoir trouvé le curé, rien n’était perdu encore ; mais au