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l’artillerie commença à foudroyer la ville ; mais deux redoutes en gênent encore l’approche. Le 14, Washington lance sur elle deux colonnes : l’une française, conduite par le baron de Viomesnil, l’autre américaine, commandée par le marquis de Lafayette. Le feu de l’ennemi est terrible, la mitraille les écrase, mais l’armée tout entière les regarde. Elles représentent la France et l’Amérique, et en se précipitant sur les batteries ennemies, une seule crainte domine les soldats, celle d’être devancés par leurs émules. » Il semble que, lorsqu’il écrivait ces lignes, l’auteur venait de lire un bulletin de Crimée, qu’il pensait aux et aux Écossais.

Après la guerre zouaves commence le rôle politique de Washington, plus admirable encore que son rôle militaire. Il entre dans cette carrière de dévouement, d’abnégation, de sagesse, au bout de laquelle s’est trouvée la liberté pour sa patrie, et pour lui la plus solide et la plus pure des gloires. Son ascendant réconcilie deux puissances dont les différends menaçaient l’avenir de l’Amérique : le parlement et l’armée. Le parlement marchandait les récompenses promises à l’armée, l’armée menaçait de se dissoudre en présence d’un ennemi vaincu, mais qui pouvait être encore dangereux. Washington fit honte à celle-ci d’un pareil dessein, et au parlement de sa maladroite ingratitude, et cette victoire du bon sens acheva d’assurer l’indépendance que les armes venaient de conquérir.

Washington allait donner une autre preuve de son patriotisme. Un parti se forma qui rêvait le rétablissement de la monarchie, et voulait déférer au général triomphant le pouvoir suprême. Dans ce parti monarchique étaient des hommes considérables qui croyaient sincèrement la république dangereuse et même impossible, qui croyaient la constitution britannique la meilleure des constitutions. Washington alors n’était pas éloigné de penser que l’on reviendrait à cette forme de gouvernement ; mais lui et Hamilton, le seul des hommes de ce temps qu’on puisse comparer à Washington, quelle que fût leur opinion sur ce qui pouvait arriver dans l’avenir, furent d’accord pour tenter, comme disait Hamilton, loyalement l’expérience. Il ne s’agissait pas pour Washington d’étouffer la liberté, mais de profiter des fautes du congrès et de se laisser porter par l’armée libératrice au pouvoir suprême. Un colonel lui écrivit en ce sens au nom de ses compagnons d’armes. Washington répondit : « C’est avec un mélange de surprise et de douleur que j’ai lu attentivement les pensées que vous m’avez soumises. Soyez-en sûr, monsieur, aucun événement, dans le cours de cette guerre, ne m’a autant affligé que d’apprendre par vous que de telles idées circulent dans l’armée ; je dois les regarder avec horreur et les condamner sévèrement. . . Je cherche en vain ce qui, dans ma conduite, a pu encourager une telle