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Croire que, même après cinq mois de travaux mêlés de combats incessans, l’entreprise soit facile, et que tout puisse être fini en un instant, ce serait supposer que dans cet intervalle la Russie est restée inactive ; elle s’est hérissée au contraire dans sa forteresse. L’essentiel pour le moment, c’est que nos flottes sont devant le port, attendant l’heure d’agir, que cinq cents canons sont en position de foudroyer les ouvrages russes, et que dans ces premières opérations du nouveau bombardement notre artillerie a promptement acquis une supériorité marquée. Qu’on songe d’ailleurs que ce siège est certainement une des plus grandes choses militaires de ce siècle, que nos généraux, dont l’un, le général Bizot, vient encore d’être gravement blessé, ont à mesurer leur feu moins sur l’impatience de l’opinion européenne ou même de leurs soldats que sur leurs approvisionnemens, sur la durée probable de l’attaque, — qu’ils agissent contre me ville qui, en l’absence d’un investissement complet, reste libre de renouveler sa garnison, ses vivres, ses munitions. C’est ce qui explique sans doute comment un succès décisif n’est point venu plus promptement aider dans leurs efforts les négociateurs de Vienne, comment la Russie s’est crue autorisée à son tour à ne point souscrire aux conditions de l’Europe en présence de l’incertitude des opérations de la guerre. Le siège suit son cours dans la phase nouvelle où il est entré, et chaque jour rapproche nos soldats de Sébastopol, de cette citadelle où l’empire russe semble avoir placé sa destinée, en y concentrant tous les élémens d’une résistance formidable.

D’un autre côté, c’est au milieu du mois dernier que s’est ouverte la conférence, dont les plus graves délibérations ont coïncidé avec les plus récens incidens militaires. Elle commençait ses travaux sous de favorables auspices. L’avénement d’un nouveau tsar semblait permettre des rapprochemens qui eussent coûté peut-être à la fierté de l’empereur Nicolas. Les puissances occidentales, en se trouvant conduites à revendiquer pour l’Europe des garanties de sécurité, se montraient prêtes à céder ce que le droit évident n’exigeait pas. L’Angleterre et la France se faisaient représenter dans ces négociations par lord John Russell et M. Drouyn de Lhuys, chargés de dire le dernier mot de leur politique. La conférence de Vienne a réussi un instant à éveiller des espérances de paix par l’accord général qui s’est promptement établi sur les premières conditions, sur la transformation du protectorat des principautés, sur la liberté de la navigation du Danube. La facilité a peut-être été d’autant plus grande sur ces points de la part de la Russie, que par là. elle désintéressait l’Allemagne, l’Autriche en particulier. Comme il était facile de le prévoir, les complications sont venues dès qu’on a touché à la question essentielle, celle de la limitation de la puissance russe dans la Mer-Noire. La France et l’Angleterre, d’accord en cela avec l’Autriche, laissaient cependant de côté Sébastopol. Leur interprétation de cette garantie se résumait dans l’alternative offerte à la Russie entre la réduction de ses forces navales dans l’Euxin et la neutralisation de la Mer-Noire, c’est-à-dire l’exclusion de tous les vaisseaux de guerre de cette mer. C’est alors que les plénipotentiaires russes se sont trouvés être sans instructions suffisantes, et quand ces instructions sont arrivées après quelques jours, les deux termes de l’alternative étaient également déclinés. Dès ce moment, la conférence n’avait plus rien à faire, pas