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tion nouvelle de dix membres, sous le titre de politique, administration et finances, est créée a l’Académie des sciences morales et politiques, et les membres de cette section nouvelle ont été pour la première fois nommés par le gouvernement. Il est aisé de voir les points essentiels et assez graves de cette mesure, qui a pour résultat de faire passer beaucoup de choses de l’Institut sous l’action administrative. M. le ministre de l’instruction publique a réformé l’enseignement, il a voulu réformer l’Institut. Il est cependant dans de tels corps des traditions qui ont leur force, et il est toujours grave d’y toucher, parce que ce sont les traditions mêmes de l’esprit et de la pensée, c’est-à-dire de deux puissances volontiers indépendantes qui ont sans doute leurs heures de mauvaise fortune, mais qui ont aussi leurs jours où elles sont l’éclat et la grandeur d’un pays.

Quand on observe cette société soumise à tant d’influences variables et entraînée alternativement dans toutes les directions, quand on l’observe dans le travail confus de ses élémens, de ses forces et de ses tendances, il est une question qui s’élève inévitablement, et qui est comme la moralité des révolutions ou des actes qui se succèdent. De tous ces élémens qui peuvent se résumer sous un double aspect, — dans les aspirations morales et les aspirations matérielles, dans le travail des esprits et des âmes et dans le travail des intérêts, — quels sont ceux qui sont en progrès ou en décadence ? En un mot, quelles influences tendent à prévaloir dans la société contemporaine ? Cette question, elle est partout, on la trouvera au seuil de la prochaine exposition universelle ; elle ressort de tous les faits, de même qu’elle est le tourment des intelligences. Elle se cache dans un livre singulier et instructif sur les réformes à opérer dans l’exploitation des chemins de fer, au milieu d’un luxe de calculs, de détails techniques, de déductions merveilleuses. L’auteur ne fût-il pas connu, sans avoir eu besoin d’inscrire son nom sur la première page de son livre, on le reconnaîtrait aisément à une empreinte particulière, à cette griffe, pour ainsi parler, d’un esprit extrême et paradoxal : sorte de poète de la comptabilité tout enivré de son algèbre sociale et économique, humoriste du chiffre, prestidigitateur de la dialectique, qui fait aujourd’hui la monographie du chemin de fer ou de la fonction voiturière, selon son langage, comme il faisait autrefois la monographie de la propriété ou la théorie de l’échange. L’auteur admire-t-il cette grande invention de la vapeur appliquée à la circulation ? On le dirait à voir l’enthousiasme de certaines de ses pages et les conclusions dans lesquelles il s’aventure. L’effroi ne balance-t-il pas l’admiration au contraire ? On le dirait encore. Après tout, se dit parfois cet esprit terrible, cela peut être une immense mystification, et le progrès social pourrait bien consister, au bout d’un certain temps, dans « le retour aux pratiques antérieures momentanément délaissées. » Voyager, se mouvoir, passer la meilleure partie de sa carrière dans un wagon ou sur un steamer, est-ce donc la fin de l’humanité ? Est-ce la réalité de la vie ? Cette fièvre de vagabondage, cette agitation ardente ne serait-elle point une crise passagère ? Le secret de ces contradictions est bien simple. L’auteur voit dans les chemins de fer un grand instrument de recomposition sociale à sa manière, quand il les considère en eux-mêmes, dans leur destination ; il n’y voit plus que le danger d’une grande