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il est trompeur : l’ancien régime est de date très récente, et nous en devons l’invention à Louis XIV. Rien n’est frappant, dans l’histoire du XVIIe siècle, comme la différence radicale qui sépare les règnes de Henri IV et de Louis XIII du règne de Louis XIV, et même le commencement de ce règne de sa fin. Henri IV, Sully, Richelieu, Mazarin, sont tous des hommes profondément modernes, pénétrés des nécessités de leur temps et des besoins de leur époque, très éclairés surtout relativement au génie propre de la France et au caractère social du peuple français. Aucun ne fut certes un modèle de vertus et d’humanité, car la sécheresse était le fond de leur nature : Henri IV fut souvent égoïste et ingrat, Richelieu sec et froidement cruel, Mazarin sec et accessible aux plus vulgaires corruptions ; mais cette sécheresse de cœur était amplement rachetée chez eux par l’intelligence et les lumières. Ils n’ont pas de préjugés et de superstitions, ils n’ont pas ces dédains et ces insolences de caste qui furent tant à la mode plus tard, ils sont exempts de fanatisme religieux. Henri IV eut la gloire de fonder la société moderne française, Richelieu celle de la consolider. Qu’était-ce que cette société française ? C’était un régime singulièrement humain et tolérant, un régime de conciliation et de compromis. La conduite de la France au XVIe siècle avait été très caractéristique de l’esprit national, singulièrement attaché à la tradition et en même temps plein de goût pour les innovations. La France était restée attachée à l’église catholique, et loin de repousser la réforme, comme la logique aurait semblé le lui commander, elle l’avait aidée en plus d’un sens. Les deux religions, ainsi mises en présence, se livrèrent une guerre acharnée qui semblait ne devoir finir que par l’extermination de l’une des deux ; mais la France, malgré ses souffrances, ne désirait la mort d’aucune. La majorité désirait garder sa religion et laisser la sienne à la minorité. Le sentiment qui dominait surtout dans le public, c’était la haine du fanatisme religieux, de quelque côté qu’il vint, et le souvenir amer du rôle que des pouvoirs étrangers avaient joué dans nos guerres intestines. Ce qu’on voulait, c’est qu’il n’y eût plus de ligue possible, plus d’intrigues d’un Sixte-Quint, et qu’à l’avenir on se prémunit contre Rome et contre l’odieuse Espagne, qui fut alors un moment pour la France ce que l’Angleterre avait été auparavant, ce qu’elle devait être plus tard. La France demandait à rester catholique, mais indépendante et libre ; en d’autres termes, elle voulait les conséquences politiques de la réforme sans en accepter les principes religieux. Ce fut Henri IV qui se chargea d’établir ce semi-protestantisme, singulièrement en harmonie avec le caractère français, qui a survécu à toutes nos vicissitudes politiques, et qui, un moment éclipsé, reparut lorsque la révolution française eut modéré ses ardeurs athées et ses persécutions. Alors ce fut le catholicisme qui, à son tour, eut besoin d’être toléré, et il eut à subir son