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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/769

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en lumière, et compterions-nous, à l’honneur de l’école française, des œuvres comme l’Atala, le Déluge ou la Psyché ? Certes ce ne sont pas les leçons de David qui ont pu doter Girodet de ses instincts poétiques, ni Gérard de son ingénieuse imagination ; est-ce une raison cependant pour méconnaître la part qu’elles ont eue au développement de ces facultés natives, et les deux peintres, comme plusieurs de leurs condisciples, n’ont-ils pas au moins acquis près de leur maître le goût de la correction et une savante expérience du dessin ?

D’ailleurs il semble malaisé de concilier l’intolérance et la tyrannie prétendues de David avec l’estime qu’il professait pour certaines œuvres fort peu conformes aux siennes. Lui qui qualifia tout d’abord de « talent sûr » le talent si longtemps contesté de Prud’hon, lui qui jouait aussi haut que personne la fougue de Gros et jusqu’à « l’énergie » de Hennequin, — auteur de ce tableau d’Oreste où des juges moins indulgens ne trouveraient à signaler qu’une médiocre audace, — craignait-il donc si fort les démentis à sa manière et l’esprit d’insubordination ? Disons plus : les efforts de la réaction romantique,dirigés en apparence contre les théories de David, se trompèrent d’objet, et ne purent ruiner, au lieu de ces principes mêmes, que l’application qui en avait été faite à côté de lui et souvent malgré lui. L’imitation abusive de l’antique et l’immobilité du style pittoresque appelaient sans doute une réforme ; mais en prétendant restaurer le culte de la nature, faisait-on autre chose que de reprendre l’œuvre commencée une quarantaine d’années auparavant ? Il y avait innovation dans les formes ; au fond, les intentions étaient presque les mêmes, en ce sens qu’on visait à réagir, comme autrefois David, contre l’affectation et les excès de la pratique. Les plus ardens novateurs sortirent, on le sait, de l’atelier de Guérin[1]. Or la violence de la révolte contre Guérin ne prouve en réalité que l’insuffisance des enseignemens de cet artiste. D’une part elle est justifiée par les derniers et assez faibles ouvrages de Guérin, de l’autre par les succès de ses plus infidèles disciples, Géricault, Sigalon, MM. Delacroix et Scheffer. Qu’y a-t-il en tout cela qui incrimine sérieusement David ? Le moment était arrivé de secouer le joug, je le veux bien ; mais il avait fallu, pour que ce joug devînt insupportable, qu’il eût été imposé de seconde main. Il ne sera pas inutile d’ajouter que David n’avait pas été le maître de Guérin, et que celui-ci, en cherchant à l’imiter, obéissait

  1. Notons en passant une inadvertance et une erreur dans les pages que M. Delécluze a consacrées à Pierre Guérin. En citant les ouvrages les plus importans de l’artiste, M. Delécluze oublie de mentionner la Clytemnestre, tableau remarquable pourtant, et le meilleur spécimen peut-être de ce talent un peu grêle, mais foncièrement distingué. En outre M. Delaroche est, à deux iéprises, classé parmi les élèves de Guérin, quoique M. Delaroche n’ait jamais eu d’autre maître que Gros.