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la cavalerie l’étude de toute sa vie, de M. le général de Lawoestine. Voici ce qu’il a bien voulu m’écrire.

« Paris, 19 septembre 1854.

« J’ai lu avec un vif plaisir, mon cher Damnas, votre charmant ouvrage intitulé : les Chevaux du Sahara, et l’ai trouvé plein d’intérêt et de vérité.

« Vous ne proclamez pas des utopies, vous marchez avec des faits, et vous avez su donner l’attrait du roman à la réalité. Vous n’avez pas voulu passer de longues années en Afrique pour n’y rien voir : vous avez vécu avec les Arabes, appris leur langue, et, en observant leurs mœurs, vous avez surtout étudié la manière dont ils comprennent le noble animal qui chez eux fait partie de la famille. C’est là une bonne idée que vous avez eue, car nulle part on ne peut mieux apprendre le cheval que chez ce peuple, aussi vieux que le monde. Il est doué d’un grand esprit d’observation, et il aime avec passion le compagnon de sa vie aventureuse.

« Si nous avions le sens commun, ne devrions-nous pas reconnaître que le pays où le type du cheval a pris naissance, où l’on n’a cessé de s’occuper de lui, est le pays du cheval par excellence ?

« Vous, mon cher ami, vous avez compris cela, et vous aurez un jour rendu un grand service à la cavalerie, parce que tôt ou tard la raison remportera sur les préjugés.

« Pourquoi le cheval arabe, et ceux qui tiennent de lui, comme le cheval espagnol de la montagne, le cheval polonais et l’ancien cheval limousin, sont-ils les meilleurs chevaux de guerre ? C’est que leur conformation et leur caractère se ressentent de la rude éducation à laquelle ils ont été soumis. Ces chevaux sont sobres, intelligens, infatigables, et surtout d’une grande douceur. Les chevaux anglais et les races qui en proviennent sont tout le contraire : ils n’ont que l’avantage d’une grande vitesse, de pouvoir franchir de grands obstacles et de pouvoir fournir de longues courses, à la condition d’être énormément nourris et parfaitement soignés. Ces qualités ne constituent nullement le cheval de guerre.

« J’ai longuement fait la guerre dans tous les pays de l’Europe avec les généraux de cavalerie le plus justement renommés. Eh bien ! je ne crains pas d’être démenti par ceux de mes camarades qui vivent encore, jamais on ne recherchait un cheval anglais, pas même les maréchaux et généraux en chef, qui pouvaient se servir de cette race sans grand inconvénient, parce qu’ils marchaient isolés et qu’ils avaient des ressources que l’officier de troupe ne peut trouver.

« Le cheval des chefs était le limousin, beau comme le cheval anglais, avec toutes les qualités du cheval barbe. Le cheval des officiers de troupe, dans toute la cavalerie, était le cheval polonais, le cheval allemand croisé arabe et le cheval espagnol. Il faut, quand on commande, monter un cheval qui ne vous emporte pas à l’ennemi ; il faut qu’un officier donne le premier coup de sabre, mais qu’il soit cependant assez près de sa troupe pour la diriger et transmettre au besoin les ordres supérieurs ; autrement, il se fait tuer sans profit pour son honneur et au détriment des hommes qu’il mène au combat.

« Oui, vous avez cent fois raison, le cheval arabe est le premier cheval de guerre du monde. Il est familiarisé avec l’homme depuis sa naissance, il n’a peur de rien parce qu’il vit constamment au milieu de tout ce qu’il doit rencontrer