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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/834

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une telle méprise. Proscrivez la mythologie, déclarez-la morte sans retour, personne n’élèvera la voix pour vous contredire ; mais prouvez au moins que vous la connaissez, ne prenez pas le Pirée pour un homme, si vous voulez passer pour un citoyen d’Athènes. Je ne veux prendre en main ni la cause de Jupiter, ni la cause d’Apollon, mais il me semble que les amis de l’antiquité doivent éprouver quelque étonnement en voyant les novateurs parler si étourdiment du passé qu’ils dédaignent.

Entre les chants de la matière et les chants d’amour, le choix est assez difficile, car dans chacune de ces deux séries, M. Du Camp a suivi les procédés de Victor Hugo en disciple malhabile ; il veut être de son temps, et ne s’aperçoit pas que son temps a marché. Son esprit ressemble à une montre placée sur le marbre, et qui ne donne plus l’heure vraie : il en est encore à 1829 ! Il n’aperçoit rien au-delà des Orientales. Quand je dis qu’il suit les procédés de Victor Hugo, il demeure bien entendu qu’il s’en tient à l’imitation matérielle dans ce qu’elle a de plus facile. Il ne possède ni l’abondance, ni la richesse, ni la variété d’images qui, chez l’auteur des Orientales, dissimule parfois la ténuité ou l’absence des idées. Chez M. Du Camp, souvent la strophe est nombreuse sans être poétique ; il lui arrive de parler une langue qui n’est ni prose ni vers, malgré la définition donnée à M. Jourdain par son maître de philosophie. Ce sera, si l’on veut, de la prose rimée. Pour estimer tout ce qu’il y a de puéril dans ce recueil, dont chaque page est en désaccord avec les sentimens qui nous animent, avec les idées dont nous vivons, le lecteur, qui tient à ne pas prodiguer son attention, peut se contenter du Sac d’argent. Cette pièce fait partie des chants de la matière. Le sac d’argent prend la parole pour se justifier de toutes les accusations lancées contre lui ; il avoue sans trop de façon la plupart des crimes qu’on lui impute ; il passe en revue toutes les lâchetés qu’il soudoie, toutes les intrigues qu’il encourage. C’est un meâ culpâ qui désarmerait le juge le plus sévère, ou qui du moins obtiendrait de lui le bénéfice des circonstances atténuantes ; mais cette longue confession, très fastidieuse malgré sa franchise, ne serait pour les esprits les plus pénétrans qu’une énigme insoluble, si M. Du Camp n’eût pris soin de placer la moralité en regard de l’aveu. Le sac d’argent, si malfaisant aujourd’hui, répandra sur toutes les misères des bienfaits sans nombre, pourvu que l’héritage soit aboli ! En vérité, on croit rêver en lisant de telles paroles. Quel nom leur donner ? Comment les qualifier ? Après avoir proscrit la mythologie, qui pourtant ne le gênait guère, l’auteur proscrit sans pitié l’héritage, institution surannée dont il n’a pourtant pas à se plaindre, puisqu’il lui doit ses voyages en Orient. Grâce à l’héritage qu’il maudit, qu’il