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devez frapper ; le diable vous emporte ! » Le châtiment est un peu sévère. Quelle réflexion croyez-vous que fasse là-dessus M. Mitchel ? « Ce n’est pas, dit-il, que je trouve mauvais qu’on frappe des criminels, lorsque cela est nécessaire, pour le maintien de la discipline ; mais pensez que des soldats et des marins sont exposés à être fouettés comme des chiens ! » N’en déplaise à M. Mitchel, il est beaucoup plus légitime peut-être d’appliquer la peine du fouet à un marin ou à un soldat, dans un pays où le fouet remplace les autres moyens de discipline, que de fouetter à mort un convict. L’indiscipline d’un matelot ou d’un soldat peut être contagieuse et compromettre les plus graves intérêts d’une nation ; mais quels intérêts compromettaient ces pauvres diables qui, après tout, en essayant de s’évader, avaient obéi à un instinct très naturel à l’homme, celui de la conservation ?

Un organe très intéressant du parti radical anglais, le Leader, publie toutes les semaines un petit sommaire des crimes commis à Londres et dans les environs sous ce titre satirique : Our civilisation (notre civilisation). Tous les actes sauvages de la nature humaine sont là enregistrés à côté des colonnes qui rendent compte des séances de l’imperial parliament, du mouvement du commerce, des représentations dramatiques et des livres nouveaux. Mis en face du tableau brillant de la civilisation, ce petit chapitre se dresse comme un redoutable memento ; c’est la tête de mort au banquet épicurien, la goutte d’acide dans le vase de parfums. Cette comparaison de la civilisation et de la barbarie peut se faire, nous ne savons pour quelle cause, plus facilement en Angleterre que dans aucun autre pays, et c’est là l’ombre funeste qui s’étend sur cette opulence et cette prospérité. L’Angleterre est un grand pays, répétons-nous tous à l’envi, et cependant visitez-la, ouvrez les livres qui en parlent : quels sont les chapitres les plus curieux ? L’auteur commencera inévitablement par parler de la grandeur, de l’activité de cette nation, et puis, lorsqu’il viendra aux détails et qu’il racontera ce qu’il a vu de plus intéressant, vous courez risque de tomber sur des sujets tous plus sinistres les uns que les autres : paupérisme anglais, prostitution anglaise, prisons, établissemens de convicts, tread mills, workhouses, ragged schools, institutions fort originales, mais qui ont quelque chose de repoussant. C’est là le vilain côté de cette civilisation ; elle semble souvent n’avoir été inventée que pour fournir des sujets d’étude aux économistes dans ce qu’elle a de bon et aux criminalistes dans ce qu’elle a de mauvais. Sa littérature elle-même n’est intéressante que lorsqu’elle roule sur ces sujets lugubres. Qui ne préférerait l’enquête de M. Mayhew, par exemple, aux trois quarts des conceptions poétiques des dernières années, et un roman plus ou moins humanitaire de Dickens à tous les romans de high life ? Cette