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au nom du contrôleur-général et l’informa qu’il pourrait résider en liberté dans n’importe quelle partie de la colonie, sans autre formalité à remplir que de se présenter une fois par mois au magistrat de police de son district et à la condition de promettre qu’il ne profiterait pas de cette permission pour s’évader. Smith O’Brien avait refusé de faire cette promesse, et avait été en conséquence interné dans une petite île de la côte, Maria-Island, où il était sévèrement surveillé ; mais Meagher, Martin, O’Doherty et les autres avaient accepté cette liberté et fait la promesse requise. M. Mitchel suivit l’exemple de ces derniers et demanda à pouvoir se rendre dans un district nommé Bothwell, où vivait son ami John Martin : sa demande lui fut accordée.

Il était défendu aux exilés de sortir du district qu’ils avaient choisi ; cependant la surveillance n’était pas si rigoureuse qu’ils ne pussent se visiter et communiquer ensemble en prenant quelques précautions. M. Mitchel et son ami Martin allèrent à la rencontre de Meagher et d’O’Doherty. En se voyant, les exilés partirent d’un immense éclat de rire, d’un rire hystérique et nerveux, de ce rire qui est un des signes physiologiques d’une nature vive et violente, et qui remplace les larmes. « Je ne sais si ce fut élan tumultueux du cœur ou bizarre perversité de sentiment, mais nous fîmes tous à la fois retentir les bois de notre rire, rire long et bruyant, qui réveilla deux sarcelles couchées parmi les roseaux du lac. » Lorsque ce rire irlandais eut duré assez longtemps pour exprimer tous les souvenirs amers, toutes les espérances déçues, toutes les souffrances subies et toutes les malédictions dont leur cœur était plein, ils causèrent longuement de l’Irlande et des prisons anglaises, de Smith O’Brien et de leurs compagnons d’exil. Hélas ! l’étourderie de l’Irlande l’avait accompagnée sur la terre étrangère. Les réfugiés irlandais en Amérique se disputaient chaudement sur des questions puériles, par exemple sur la question de savoir quel était le plus grand homme de la révolution de 1848. M. Mitchel avait son parti, et M. Meagher le sien, plus nombreux encore, et pendant que les deux proscrits causaient et fumaient tranquillement ensemble, des émeutes éclataient à New-York en leur honneur, des coups étaient même échangés entre leurs partisans respectifs. On causa beaucoup aussi de Smith O’Brien. Ce prisonnier avait, ainsi que nous l’avons dit, refusé la liberté sous condition qu’on lui avait offerte, et il avait été en conséquence traité beaucoup plus durement que ses compagnons. Il avait été soumis à une réclusion rigoureuse, et ce n’est que sur les représentations d’un officier médical qu’on lui avait permis de se promener dans Maria-Island, toujours accompagné d’ailleurs d’un constable armé. Ses lettres étaient ouvertes par les agens du gouvernement,