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Sous peine de mort, ces pertes incessantes doivent être incessamment réparées, et de là résulte pour tous les êtres appartenant aux deux règnes la nécessité de se nourrir. Les animaux et les végétaux empruntent donc au monde extérieur certains matériaux, lesquels, convenablement élaborés, comblent à chaque instant le vide qui ne cesse de se faire. Durant le jeune âge chez tous les êtres vivans, pendant toute la vie chez un certain nombre d’entre eux, la quantité de matière fixée par l’organisme dépasse de quelque chose la quantité de matière rejetée, et de là résulte l’accroissement de l’individu. Chez l’adulte, ces quantités sont rigoureusement égales : de là son état stationnaire. Chez le vieillard enfin, la force de décomposition a le dessus; mais soit que la perte et le gain se balancent, soit que l’un ou l’autre l’emporte, le double mouvement d’apport ou de départ ne s’arrête jamais.

Ici se présente une question importante assez difficile à résoudre. Le tourbillon vital, pour employer l’expression consacrée, tient-il l’organisme entier sous sa dépendance, ou bien laisse-t-il certaines parties en dehors de sa sphère d’action? Cette dernière hypothèse a été et est peut-être encore celle de quelques physiologistes qui ont poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes la comparaison des corps vivans avec les appareils employés par l’industrie ou dans nos laboratoires. Pour eux, le corps humain lui-même est quelque chose comme une locomotive. Ce qu’il y a de solide dans nos organes représente l’ensemble des rouages, tubes, pistons, etc. La machine reçoit de la houille et de l’eau; elle porte avec elle son foyer et prépare, sans aucune intervention directe du chauffeur, la vapeur nécessaire pour mettre en jeu le mécanisme; de même, disent les physiologistes physiciens, notre corps reçoit chaque jour sa ration d’alimens et de boissons; il brûle une partie de ces matériaux pour entretenir la chaleur vitale, et fabrique avec le reste les organes qui lui manquent encore et les liquides nécessaires au jeu de l’ensemble. Chez nous d’ailleurs, comme dans la locomotive, la matière solide une fois fixée ne change pas, ou tout au plus s’use à la longue. Ce qui se dépense et veut être renouvelé, c’est seulement la houille et l’eau, les alimens et les boissons, — changés, dans la machine, en vapeur et en fumée, — dans l’homme, en vapeur aussi et en diverses sécrétions.

Cette théorie, on le voit, saute à pieds joints sur les difficultés que présente l’histoire du développement : elle est faite surtout pour un organisme entièrement constitué et en .plein exercice de toutes ses fonctions; mais alors du moins supporte-t-elle l’épreuve de l’application et rend-elle compte des faits que nous présentent le maintien et la décadence des organismes? Pas davantage, au moins dans le