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lui-même, il explique et excuse ses longues tergiversations et ses exigences multipliées par l’espoir de trouver, en prolongeant les négociations concurremment avec la guerre, un instant favorable pour compléter enfin la France, en y ajoutant « tout le territoire de l’ancien royaume d’Austrasie, en quoi tout le sang répandu et tous les trésors consommés ne pourraient être tenus par les plus critiques que fort bien employés, les plus malins étant alors en peine d’y trouver à redire. » Toutes les instructions données au duc de Longueville et à MM. d’Avaux et Servien sont inspirées par cette pensée ; elle transpire dans chacune des dépêches rédigées par M. de Brienne sous la dictée du cardinal, et plus encore dans les lettres qu’il écrit lui-même, monumens merveilleux de la plus grande école diplomatique qu’ait eue la France, et qui restent pour la postérité le titre le plus solide de la gloire de Mazarin.

Un tel projet ne pouvait être poursuivi que dans le plus profond secret, car il devait, s’il était seulement soupçonné, soulever contre la France les Catalans, qui s’étaient confiés à sa foi, et alarmer la Hollande, qui, par la réunion des Pays-Bas espagnols à la France, aurait vu son territoire et sa liberté menacés. De toutes les raisons que le cardinal suggère à ses agens pour les porter à désirer aussi ardemment qu’il le fait lui-même l’adjonction des provinces belgiques, il en est qui ont conservé toute leur valeur ; il en est d’autres qui jettent un jour éclatant sur la situation intérieure de la monarchie dans la première moitié du XVIIe siècle. Les unes et les autres présentent donc au publiciste et à l’historien le plus vif intérêt : on va en juger par l’analyse très sommaire de l’argumentation de Mazarin, reproduite dans vingt dépêches.

L’acquisition des Pays-Bas aurait d’abord l’avantage de former à la capitale du royaume un boulevard inexpugnable, en faisant de Paris ce qu’il devrait être et ce qu’il n’est point, — le centre et le vrai cœur de la France. Avec ses frontières poussées jusqu’à la Hollande et jusqu’au Rhin, accrue de l’Alsace et de la Lorraine, complétée par l’acquisition du comté de Bourgogne et parcelle du Luxembourg, la France deviendrait inexpugnable, en même temps qu’elle n’aurait plus d’autre soin que de veiller avec un complet désintéressement pour elle-même au maintien de la liberté et de l’équilibre des autres états. Cette acquisition qui nous donnerait le port de Dunkerque et un littoral considérable tiendrait à jamais les Anglais en bride et rendrait les Hollandais plus traitables. Il importe d’y travailler pendant que la guerre civile ôte à l’Angleterre les moyens que, dans un autre temps, elle ne manquerait pas d’employer pour l’empêcher ; il faut profiter des rapports qu’une étroite alliance nous a donnés avec les Provinces-Unies pour amener celles-ci à ne pas résister par les