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quelques colonnes. Le temple de la Piété, qui s’éleva pour immortaliser le souvenir de la charité romaine, n’existe plus : la place même qu’il occupait a été recouverte par le théâtre de Marcellus. Byron n’en savait pas tant, et les ruines du temple apocryphe lui ont inspiré de beaux vers : heureux péché contre l’archéologie. Felix culpa !

Ce qu’on sait de la disposition de plusieurs de ces temples et souvent les noms seuls des divinités auxquelles ils étaient consacrés nous font lire dans l’âme des anciens Romains. Les temples unis de la Vertu et de l’Honneur étaient placés de sorte qu’il fallait passer par le premier pour arriver au second, ingénieux et grave enseignement donné par une disposition architecturale. À côté du temple de Bellone se dressait la colonne de guerre près de laquelle le prêtre lançait une pique vers le point du monde qu’allaient attaquer les Romains. Ces circonstances ne sont-elles pas caractéristiques des sentimens de la vieille Rome ? Le culte des anciens dieux du Latium se maintint à Rome tant que les mœurs y gardèrent quelque chose de l’antique simplicité latine. La république éleva des temples à Janus, à Sylvain, à Faunus, à Fidius, aux Camènes ; on ne voit plus ces divinités indigènes figurer parmi celles qu’adore l’empire. La religion de l’empire est plus grecque, plus cosmopolite : elle a cessé d’être latine. Les Romains ont perdu en toute chose les traditions du rude et simple génie de leurs pères. N’est-il pas intéressant de voir Rome républicaine élever des temples à des divinités comme la Santé, la Jeunesse, l’Espérance ? Le sentiment de la force dans le présent et de la confiance dans l’avenir n’est-il pas là ? Enfin, sans tirer des conséquences trop rigoureuses d’une arithmétique un peu conjecturale, n’est-il pas remarquable que Rome ait dédié sept ou huit temples à la Fortune, dont un sur le Capitole, quelques-uns de plus à Minerve qu’à Mars, et, avant l’empire, un seul à Apollon et un seul à Vénus ?

À Rome, les monumens de l’empire sont nombreux, ceux de la république sont rares ; le hasard de la conservation a été aveugle, comme l’est toujours le hasard ; souvent même il semble avoir été dirigé par une puissance ennemie de ce qui est bon, qui a détruit ce qui méritait d’être conservé et a épargné ce qui en était peu digne. C’est ainsi que tant de mauvaises statues ont été respectées par le temps et que tant de chefs-d’œuvre ont péri. C’est ainsi que nous avons perdu, perte à jamais regrettable, plusieurs des décades de Tite-Live, une portion considérable de Tacite, et que nous avons conservé la Thébaïde de Stace, le poème de Silius Italicus, beaucoup de rhéteurs et de grammairiens qui à eux tous ne valent pas une page de Tite-Live ou de Tacite. La destruction est inintelligente, la conservation est capricieuse : les thermes de Caracalla