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du peuple romain. Les monumens, du reste, nous offriront le même spectacle. Au milieu des ruines et des musées de Rome, il faut un certain courage pour apprécier le mal que la Grèce fit à Rome. Je dois le faire cependant, je dois chercher la vérité historique à travers ces monumens, et tâcher de la découvrir, tantôt par eux, tantôt en dépit d’eux-mêmes. Oublions donc, s’il se peut, pour un moment, les arts, qui sont comme la fleur des sociétés, mais n’en sont pas la racine ; fermons les yeux aux merveilles qui nous environnent, et jugeons froidement quel fut le résultat de cet incroyable envahissement de la vie romaine par la culture grecque.

Voici un singulier et triste phénomène : la civilisation d’un peuple entre tous le mieux doué atteint une société vigoureuse, elle la pénètre, elle la décompose, et la livre affaiblie et malade au despotisme qui doit la tuer lentement, avec l’aide des siècles et des Barbares. Comment expliquer ce fait, qui paraît inexplicable ? Je ne vois pas là, je le déclare, une raison de déclamer contre la philosophie en général. Ni Platon ni Aristote ne sont en cause. L’enseignement de ces grands esprits ne pouvait qu’élever l’âme et fortifier l’intelligence. Si j’en doutais, j’irais me placer en face de leurs images, et il me serait impossible de les accuser. J’irais contempler le buste de Platon et la statue d’Aristote : Platon, sur le front duquel rayonne une si majestueuse sérénité, et dont le regard semble plonger de si haut dans de si profonds abîmes ; Aristote, ce petit homme maigre et presque chauve, assis et méditant, le menton appuyé sur sa main, air pensif et sagace, corps usé par l’étude et la réflexion, tête qui comprend et contient tout. Mais le temps de ces deux hommes était passé pour renaître un jour ; ce qui leur avait succédé, c’était la seconde académie et la doctrine d’Épicure.

Les académiciens étaient des disputeurs plus que des philosophes. Chez eux, la dialectique avait remplacé la logique, et l’argumentation le raisonnement. Ces subtilités énervèrent l’esprit mâle et un peu grossier des Romains, qui s’y perdit d’autant plus qu’il était moins en état de les démêler. Épicure fut aussi funeste à Rome, non pas tant, comme on le croit, en amollissant les âmes par la volupté. Épicure était un voluptueux qui vivait d’oignons et de fromage et qui buvait l’eau de son jardin. Personne ne fut moins épicurien que lui dans le sens vulgaire de ce mot, bien qu’on ait fait d’Épicure dans les chansons bachiques une sorte de pendant d’Anacréon. Nous n’avons de ce joyeux philosophe qu’un fragment trouvé parmi les manuscrits charbonnés d’Herculanum, et dans lequel il n’est guère parlé que de la mort, ce qui va du reste admirablement avec la figure longue et triste que lui donnent ses bustes. Épicure ne prècha