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continu. Cette observation est de tous les temps, de tous les pays, et elle a contribué à exclure l’emprisonnement du système de pénalité de plus d’une société policée. En France même, la détention n’était avant la révolution qu’un moyen de s’assurer des accusés jusqu’au jugement; comme peine, elle n’était appliquée qu’aux nobles de race : la marque, le pilori et surtout le fouet étaient, dans les cas analogues, les châtimens des roturiers. Les lois pénales eurent en 1791 leur révolution; des châtimens corporels autres que la mort, le législateur de cette époque ne conserva que la marque, la restreignit aux coupables de crimes infamans, et, comme pour traiter tous les autres en gentilshommes, il fit de l’emprisonnement simple la peine la plus commune. Nous tendons visiblement aujourd’hui à remplacer par la détention la peine des travaux forcés.

Cette tendance, coïncidant avec la progression désespérante du nombre des délits, contribue à grossir d’année en année la partie de la population qui s’imprègne, dans l’atmosphère des prisons, de germes d’infection morale qu’elle rapporte dans la société. M. Bérenger a constaté, sur les Comptes-rendus de l’administration de la Justice criminelle, qu’à diviser le second quart de notre siècle en cinq périodes quinquennales, le nombre annuel des prévenus a été

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Pour la première, 1826 à 1830, de 178,021
la seconde, 1831 à 1835, 203,207
la troisième, 1836 à 1840, 191,778
la quatrième, 1841 à 1845, 195,524
la cinquième, 1846 à 1850, 221,414

Et pour donner d’ailleurs par un chiffre précis la mesure d’un mal qui ne cesse d’empirer, 301,275 individus sont entrés en 1852, à titre de prévenus ou de condamnés, dans les prisons ou dans les bagnes. Ces nombres montrent mieux qu’aucun discours avec quel redoublement de sollicitude nous avons à rechercher aujourd’hui les moyens d’atténuer, dans l’impuissance où nous sommes de les détruire, les effets pernicieux de l’emprisonnement.

Ces effets consistent principalement dans un professorat des théories du crime qui ne s’exerce nulle part avec autant d’insistance et de latitude qu’entre détenus et dans les liaisons qui se forment pour l’époque de la libération. Il semble que cette infection mutuelle qui rend les détenus au courant social plus dépravés qu’ils n’étaient auparavant aurait dès longtemps dû suggérer la pensée de les isoler complètement les uns des autres. Indépendamment des mécomptes que manifeste trop souvent l’expérience dans l’application des systèmes absolus, les idées simples sont rarement les premières qui se présentent à l’esprit, et la théorie de l’emprisonnement cellulaire, comme moyen de traitement moral des criminels, ne s’est produite