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veulent être appliqués dans des lieux séparés. Les mêmes travaux ne devraient pas non plus être imposés aux condamnés qui, venus des campagnes, sont destinés à retourner à la charrue, et à ceux qui sortent des ateliers de l’industrie, ou qu’ont dès longtemps pervertis les débauches des grandes villes. Enfin la peine de la récidive devrait se distinguer de celle d’une première faute autrement que par la durée, qui n’affecte pas d’une manière sensible les condamnés.

Il est une autre séparation, bien plus essentielle que celles dont il vient d’être question, et qui pourtant ne s’est effectuée que beaucoup plus tard. Les enfans étaient encore confondus, il y a vingt-cinq ans, dans les prisons avec les plus infâmes scélérats, et la plume se refuse à retracer les attentats dont ces petits malheureux étaient les victimes[1]. Ce fut au commencement de 1831, après une visite que le préfet de police fit à la Force, que tous les enfans disséminés dans les prisons de Paris furent tirés de ce milieu infect et rassemblés dans la maison des jeunes détenus, que M. Moreau-Christophe, alors inspecteur des prisons du département, sut organiser en moins de quarante-huit heures. Pour justifier une détermination si prompte, on réunit à la préfecture les dossiers individuels des cinquante premiers condamnés que désigna l’ordre alphabétique parmi ceux qui, entrés dans les prisons avant l’âge de seize ans, étaient parvenus à celui de cinquante, et la récapitulation de leur existence officielle fit voir qu’à ce terme chacun avait en moyenne passé dix-sept ans et deux mois dans les bagnes ou les prisons : on pouvait juger par ce résultat de l’éducation qu’ils y avaient reçue, de l’usage qu’ils avaient fait des intervalles de liberté, et du tribut que leurs pareils prélevaient sur la société. La maison des jeunes détenus n’était à son origine qu’une ébauche informe; mais elle contenait un germe à la culture duquel n’ont manqué ni les mains intelligentes ni les mains généreuses : elle est devenue la maison de la Roquette, et parmi les libérés de cet établissement, dont nul ne saurait mieux parler que M. Bérenger lui-même, le nombre des relaps est progressivement descendu de 75 à 7 pour cent par an. Des maisons créées, si ce n’est sur ce modèle, du moins dans la même pensée, sont aujourd’hui, sous des formes très diverses, disséminées dans les départemens : elles recueillent sur tous les points du territoire les jeunes condamnés et les prévenus auxquels s’applique l’article 66 du code pénal[2], et la population, à son grand avantage physique et moral, en est employée au travail de la terre, non à celui des manufactures, comme à Paris.

  1. La maison de la rue des Grés avait été fondée en 1817 par une association charitable; mais elle ne renfermait que des détenus par correction paternelle ou en vertu de l’art. 66 du Code pénal, et point de condamnés ni de prévenus.
  2. « Art. 66. Lorsque l’accusé aura moins de seize ans, s’il est décidé qu’il a agi sans discernement, il sera acquitté; mais il sera, selon les circonstances, remis à ses parens ou conduit dans une maison de correction pour y être détenu et élevé pendant tel nombre d’années que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra excéder l’époque où il aura accompli sa vingtième année. »