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et des inscriptions commémoratives ont révélé l’existence de révolutions dans le gouvernement et les institutions de l’Égypte. Les actes d’adoration adressés aux différens dieux et les épitaphes ont fait connaître que la religion avait été empreinte du même caractère de mobilité. Enfin la confrontation des statues et des bas-reliefs appartenant aux diverses dynasties a révélé dans l’art égyptien toute une série de changemens qui avaient échappé aux premiers observateurs. En un mot, il est arrivé pour l’Égypte ce qui s’était déjà passé pour l’Inde et la Chine; son immobilité supposée s’est évanouie devant l’étude des faits, et tandis que la race dénotait constamment les mêmes caractères physiques et moraux, qu’elle demeurait sur le même sol, on voyait tout changer autour d’elle, langue, gouvernement, religion et art.

Les recherches par lesquelles on est arrivé à découvrir ce grand contraste appartiennent à la période la plus récente des travaux poursuivis sur l’ancienne Égypte. En cherchant à résumer ici les notions obtenues jusqu’à ce jour sur la langue, l’histoire, les mœurs des Égyptiens, c’est le mouvement de l’archéologie moderne dans une de ses branches les plus importantes que nous aurons caractérisé.


I. — LA LANGUE ÉGYPTIENNE.

Ce fut peut-être une heureuse erreur que celle où tombèrent les érudits qui, au moment des premiers travaux sur l’Égypte, attribuèrent à ce pays, à tout ce qui en était sorti, une immobilité absolue. Comme nous ne possédions sur l’Égypte antique que des renseignemens comparativement assez modernes, si l’on avait été arrêté par la crainte de commettre des anachronismes, on n’aurait absolument rien découvert. Celui qu’on peut appeler le grand mystagogue de la philologie égyptienne, Champollion, n’aurait pas fait deux pas en avant. Les monumens qui lui servaient de clefs, l’obélisque de Philès et l’inscription bilingue de Rosette, datant de l’époque des Plolémées, s’il eût nourri quelques scrupules sur la parfaite identité du système hiéroglyphique aux différens âges, il ne serait point arrivé à l’admirable découverte qui a immortalisé son nom. Les documens grecs qu’il avait entre les mains fussent devenus de sa part l’objet de continuelles défiances, et sa sagacité se serait égarée au milieu des réticences et des distinctions provisoires qu’il se serait vu forcé d’établir. Champollion fut plus hardi et plus absolu. Il admit en principe que la langue des Égyptiens n’avait point varié, et que sous l’écriture hiéroglyphique, qui la dérobait avant lui à notre intelligence, elle était encore celle que les premiers chrétiens de l’Égypte ont écrite avec l’alphabet grec enrichi de quelques lettres. Ce fut une grammaire et un dictionnaire coptes à la main que l’illustre égyptologue procéda au déchiffrement. Toutes les fois qu’il rencontrait une expression inconnue, un signe idéographique qu’il voulait transcrire phonétiquement à nos yeux, c’était à la langue copte qu’il avait recours. Une pareille méthode, bonne dans le principe, alors qu’il ne s’agissait encore que de saisir un sens général et d’avoir sur l’ensemble du système des données approximatives, dut être abandonné lorsqu’on voulut approfondir les détails de la grammaire