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sourire me faisait entrevoir des paradis, car je dois dire que la jeune fille se laissait volontiers regarder sans baisser les yeux ni les détourner ; mais elle souriait rarement, ou c’était un sourire si atténué, qu’il ressemblait à un gramme d’arsenic que les homéopathes jettent dans une rivière, prétendant que la plus petite partie suffit pour produire son effet. Cependant je fis un pas le jour où le savant allemand me déroba presque tout à fait la vue de la jeune fille. Mécontent de ne l’avoir pas regardée à mon gré, je la suivis à la sortie du cours, et je me trouvai k dix pas d’elle pendant qu’elle descendait le petit escalier du pavillon. Sa figure se dérida légèrement, et je vis par là que mes poursuites ne la choquaient en rien.

Mon imagination trottait toujours pendant l’intervalle des leçons, trop rares, hélas ! Deux séances d’une heure par semaine ne me suffisaient guère. Un lundi, je rencontrai une marchande de violettes ; j’achetai tout l’éventaire, et je fourrai les bouquets dans mes poches avec l’intention d’en offrir à la jeune fille. Cela était difficile en présence des dames qui l’accompagnaient, du professeur et des cent auditeurs ; mais j’avais un plan qui réussit à peu près. J’arrivai dans la salle des singes une demi-heure avant la leçon, et à la place qu’occupaient ordinairement les dames, je remplis l’endroit de mes petits bouquets. J’en mis sur les chaises, sous les chaises, jusqu’aux pieds du squelette, qui n’était pas fort éloigné des dames. Pendant que je me livrais à ce jardinage, le préparateur apparut, portant dans ses bras un énorme cercocèbe enfumé d’Afrique qui, heureusement pour moi, n’était pas facile à manier. Je n’eus que le temps de me cacher sous le bureau du professeur, et là je réfléchis à quelles suites l’amour m’entraînait. Deux minutes plus tard, la foule arrivait ; j’étais surpris par le naturaliste sous son bureau. Dieu sait comment j’aurais pu expliquer ma présence en pareil endroit. Je pus m’échapper pendant que le préparateur retournait à son magasin de singes.

Les dames arrivèrent comme à l’ordinaire, et je crus m’apercevoir que mon semis de violettes ne produisait pas tout l’effet que j’en attendais : cela me peina vivement. À peine le cours fini, je m’élançai dans l’escalier de sortie, traversai la cour et grimpai comme un lièvre le grand escalier qui conduit à la terrasse donnant sur l’hôpital de la Pitié. J’avais remarqué que les dames s’en allaient toujours par là. En haut de l’escalier, caché par des arbustes qui conservent leur verdure malgré l’hiver, je les observais ; elles traversèrent la cour, parurent se diriger ainsi que moi vers l’escalier, et tout à coup rebroussèrent chemin. La peur me prit d’avoir été découvert ; ces allures me le prouvaient. Je m’étais retourné imprudemment au milieu du grand escalier ; on m’avait vu, on essayait