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à Paris ; elle a été reçue, ainsi qu’elle devait l’être, comme la souveraine aimée et respectée d’un peuple qui n’est pas seulement notre allié, qui a su faire vivre ensemble dans son histoire ses traditions et sa liberté. La reine d’Angleterre est restée dix jours à Paris, ou plutôt à Saint-Cloud, et rien n’a manqué à coup sûr pour faire de ce séjour un enchaînement de fêtes et de surprises. La souveraine anglaise a été reçue à l’Hôtel-de-Ville, à Versailles, où des bals lui ont été donnés ; elle a visité l’exposition, les monumens de Paris, les Invalides, Saint-Germain, où repose Jacques II ; elle a assisté à des revues, et elle a pu voir sur son passage plus de soldats que la Grande-Bretagne n’en compte dans toute son armée. Ces spectacles militaires l’ont suivie jusqu’à Boulogne, sur cette plage même d’où devait partir l’armée d’invasion d’Angleterre il y a un demi-siècle. Certes de tous les faits de notre temps, il n’en est point de plus extraordinaire que ce voyage de la reine Victoria, reçue à Paris par un successeur de Napoléon et traversant dans l’appareil de la souveraineté la place Vendôme, tout près de l’homme de bronze qui signa les décrets du blocus continental pour aller s’éteindre à Sainte-Hélène. Qu’on songe un instant à ce qu’il a fallu d’événemens, de retours de fortune et de révolutions pour que la reine Victoria pût s’agenouiller au tombeau de Jacques Stuart à Saint-Germain, et aller aux Invalides saluer dans la mort cette majesté que l’Angleterre ne reconnut jamais tant qu’elle fut debout ! Il ne faut pas même remonter si haut : qu’on se souvienne des étranges émotions du peuple anglais il y a quelques années. Le duc de Wellington avant sa mort ne se couchait pas sans prédire une catastrophe imminente à son pays, s’il ne s’armait pas. Bientôt, l’empire renaissant en France, on battit le rappel de la milice, comme si la flotte du camp de Boulogne avait déjà paru dans la Manche. M. Cobden seul engageait des paris contre la crédulité de ses compatriotes.

Qu’a-t-il fallu pour dissiper ces nuages ? Il a fallu la pression d’un intérêt supérieur, et l’alliance de la France et de l’Angleterre s’est trouvée nouée sans effort ; elle a été cimentée par le sang versé en commun, elle vient de se manifester dans le voyage de la reine Victoria à Paris. C’est qu’en effet, en dépit de toutes les rivalités anciennes et à travers tous les changemens de régimes politiques, il y a des liens évidens entre les deux nations, et ces liens formés par une civilisation commune, l’ambition de la Russie n’a fait que les resserrer en leur donnant une force nouvelle. Ce qui arrivera par la suite, on ne peut guère le prévoir. Sans doute chacun des deux peuples conserve ses intérêts distincts à côté des intérêts communs. Ce qu’on peut dire pour le moment, c’est que l’alliance de la France et de l’Angleterre est le gage de la sécurité de l’Europe. Malgré tout, elle ne peut avoir qu’un caractère libéral ; la nature même de la lutte engagée avec la Russie lui imprime ce caractère, et c’est ce qui fait qu’elle est une garantie pour les deux peuples. Pour peu qu’on jette les yeux sur l’état du monde d’ailleurs, il est facUe de voir que l’alliance de l’Angleterre et de la France a toute sorte de raisons de se maintenir et de devenir durable ; elle est presque une nécessité, dirons-nous. Ce n’est pas seulement la Russie qui est un danger pour l’Europe, c’est aussi cette puissance nouvelle qui remplit l’Amérique du bruit de ses usurpations et de ses envahissemens. Après tout, la politique des États-