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tout se mêle dans leur existence, les faits les plus incohérens et une étrange persistance de vues, le désordre et le travail. C’est moins la vie régulière d’une société constituée qu’un mouvement confus au sein duquel se détachent deux ou trois formidables questions. Il s’agit de savoir ce que deviendra ce terrible problème de l’esclavage qui divise les états du nord et les états du sud, comment arriveront à se foudre et à s’organiser toutes ces émigrations attirées par l’appât d’une existence nouvelle et de la fortune, quelle influence exerceront sur les destinées de l’Union ces tendances envahissantes qui dominent de plus en plus l’esprit yankee. Ce qui se passe en ce moment même aux États-Unis se rattache à quelques-unes de ces questions, et sert à mettre à nu la réalité de cette vie américaine, qu’on ne représente souvent que sous ses aspects merveilleux. Il s’est formé, comme on sait, un parti assez nouveau, celui des know-nothings. Quand nous disons que c’est un parti nouveau, il l’est moins par les idées que par le nom : les know-nothings s’appelaient autrefois les Américains natifs. Sous ces divers noms, c’est le parti qui se dit américain par excellence, et qui est né d’une certaine réaction contre l’élément étranger, dont il prétend diminuer l’influence dans le maniement des affaires nationales ; on un mot, c’est une lutte ouverte entre l’esprit américain natif et l’esprit des populations étrangères, dont l’immixtion croissante peut arriver à changer complètement les conditions morales et politiques de l’Union.

Les know-nothings ont montré une singulière activité ; ils ont tenu, il y a quelques mois, une convention à Philadelphie ; ils ont cherché à recruter des adhérens de toutes les façons, louvoyant entre tous les autres partis, transigeant avec tous les intérêts locaux, avec le nord et avec le sud, avec les partisans de l’esclavage et avec les abolitionistes. Cette campagne se faisait surtout en vue de la prochaine élection présidentielle. Les know-nothings ont trouvé une occasion plus immédiate d’essayer leurs forces, c’est celle de diverses élections qui viennent d’avoir lieu dans les états. À vrai dire, les know-nothings ne semblent pas jusqu’ici gagner beaucoup de terrain. Dans la Caroline du nord. Ils ont fait passer trois candidats seulement sur huit nominations de membres de la chambre des représentans dans le congrès fédéral. Dans le Tennessee, le gouverneur nommé appartient au parti démocrate. Les élections de l’Alabama sont dans le même sens. Les know-nothings ont réussi plus complètement dans le Kentucky ; mais leur succès a été le signal des plus étranges scènes de violence à Louisville. Le Kentucky est l’un des états où se portent de préférence les émigrans ; la population de Louisville notamment se compose en partie d’Allemands et d’Irlandais ; la lutte a dû être d’autant plus vive. L’émeute de Louisville est née peut-être de la prétention émise par les know-nothings de voter avant les étrangers, prétention qu’ils ont voulu soutenir par la force. Toujours est-il que le jour de l’élection, le 6 août, des groupes d’Irlandais ont parcouru la ville en faisant feu sur des Américains ; les fenêtres des maisons allemandes laissaient échapper une grêle de balles. Les Américains se sont réunis de leur côté, et une mêlée sanglante s’est engagée sur divers points. On a mis le feu à des maisons où s’étaient réfugiés les Irlandais, et parmi ceux-ci les uns ont été fusillés, d’autres faits prisonniers ; il y en a qui ont