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voisins de Novare, de Bergame et de Pavie. Ceux-ci ont été civilisés depuis par dix-sept années d’une administration raisonnable et non taquine. L’habitant de Milan ne faisait jamais de mal inutile. L’Autriche ne possédait cette ville aimable et la Lombardie que depuis 1714, et, chose qui paraîtra bien étonnante aujourd’hui, elle n’avait point cherché à hébéter ce peuple et à le réduire aux appétits physiques.

L’impératrice Marie-Thérèse avait administré la Lombardie d’une façon raisonnable et vraiment paternelle. Elle avait été admirablement secondée par le gouverneur général, comte de Firmian, lequel, loin de jeter en prison ou d’exiler les premiers hommes du pays, écoutait leurs avis, les discutait et savait les suivre. Le comte de Firmian vivait avec le marquis Beccaria (l’auteur du Traité des Délits et des Peines), avec le comte Verri, le père Frisi, le professeur Parini, etc. Ces hommes illustres cherchèrent de bonne foi à appliquer à la Lombardie ce qu’on savait en 1770 des règles de l’économie politique et de la législation.

Le bon sens et la bonté de la société milanaise respirent dans l’Histoire de Milan du comte Pietro Verri. On ne publiait point de tels ouvrages en France vers 1780, et surtout la France n’était point administrée comme la Lombardie. On a trop oublié, au milieu de notre bonheur actuel, toutes les persécutions que Turgot eut à souffrir pour avoir voulu introduire dans l’administration des communes de France et dans celle des douanes intérieures, de province à province, quelques-unes des règles dont le comte de Firmian et le marquis Beccaria faisaient les bases de leur administration en Lombardie. On peut dire qu’en ce pays le despotisme était exercé par les hommes les plus éclairés et cherchait réellement le plus grand bien des sujets; mais dans les commencemens on n’était pas accoutumé à cette mansuétude du despotisme qui, depuis 1530 et Charles-Quint, avait toujours été si féroce à Milan.

Le triomphe de Beccaria n’était pas sans dangers; il craignait toujours, et avec raison, d’être envoyé dans le Spielberg du temps. Il résulte de cet ensemble de faits que, comme il n’y avait point d’abus atroces en Lombardie vers 1796, il n’y eut pas lieu à une réaction sanguinaire, à une terreur de 1793.

Il faut avouer que le despotisme s’est éclairé; il se trompait en employant à Milan des hommes tels que Beccaria et Parini. C’est aux sages conseils du premier, c’est à l’excellente éducation donnée par le second à toute la noblesse et à la riche bourgeoisie, c’est à leur sage administration que le peuple milanais dut de pouvoir comprendre ce qu’il y avait de sincère dans les proclamations du général Bonaparte. Il vit tout de suite qu’on n’avait pas à craindre, avec le jeune général, de voir la guillotine élevée en permanence sur les places publiques, ainsi que l’annonçaient les partisans de l’Autriche. J’ai oublié de dire que le despotisme, ayant eu peur en 1793, avait repris toutes ses anciennes allures et s’était fait détester.

L’enthousiasme fut donc sincère et général dans les premiers temps; quelques nobles, quelques prêtres élevés en dignité, firent seuls exception. Plus tard l’enthousiasme diminua : on en a vu la cause dans l’extrême pauvreté de l’armée. Le bon peuple milanais ne savait pas que la présence d’une