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M. Ingres avait quarante-sept ans lorsqu’il peignit ou du moins lorsqu’il acheva l’Apothéose d’Homère. Après un long séjour en Italie, il voulut montrer sous une forme éclatante et pure le fruit de ses études, et l’espérance de ses plus fervens admirateurs fut pleinement réalisée. On peut discuter en effet le choix des poètes modernes groupés aux pieds da poète déifié, on peut s’étonner de la présence du Tasse, qui, malgré ses mérites, n’appartient certainement pas à la famille d’Homère; mais il faut s’incliner avec respect devant la majesté sereine, devant la merveilleuse harmonie de cette composition. Ce n’est pas l’Italie seule qui l’a inspirée. M. Ingres dans l’Apothéose d’Homère a voulu s’élever jusqu’à l’art grec, et quoique le temps nous ait envié les œuvres de Timanthe et de Zeuxis, les murs de Pompeï et d’Herculanum nous en disent assez pour nous permettre d’affirmer que le peintre français n’est pas demeuré au-dessous de son ambition. Il ne s’en est pas tenu aux débris de Pompeï et d’Herculanum, il a consulté avec une égale assiduité, avec une égale sollicitude, les pierres gravées, les camées, et de toutes ces études il a tiré une œuvre d’un caractère vraiment hellénique. Pour justifier mon opinion, il me suffira de citer les deux figures qui représentent l’Iliade et l’Odyssée; on comprend, en les regardant, que l’auteur doit se trouver dépaysé au milieu des compositions prosaïques dont la foule se repaît avidement. L’Iliade et l’Odyssée sont deux types accomplis d’élégance et de grandeur. Quant au poète déifié, il respire une majesté olympienne.

Sept ans plus tard, M. Ingres achevait le Martyre de saint Symphorien. C’est encore la même habileté, le même savoir; ce n’est plus le même style. L’Apothéose d’Homère relève de la Grèce encore plus que de l’Italie. Arrivé à la maturité, l’élève de David essaie de remonter jusqu’au génie d’Apelles en consultant le génie de Raphaël. Pour répondre aux envieux qui l’accusaient de ne pas comprendre l’énergie dans le dessin, le pathétique dans l’expression, parvenu à l’âge de cinquante-quatre ans, il achève cet admirable martyre qui soulevait en 1834 de si vives, de si orageuses discussions, et que la génération nouvelle connaît à peine. On a prononcé en cette occasion le nom de Sébastien del Piombo, et ce n’est pas sans raison. On sait en effet que Sébastien, Vénitien par sa naissance, peignait presque toujours d’après les dessins de son maître Michel-Ange. La Résurrection de Lazare, exécutée en 1520 en même temps que la Transfiguration, n’avait pas d’autre origine. Le Christ à la Colonne, qui se voit à Saint-Pierre in Montorio, appartient également par la conception et le dessin au maître de Sébastien. Il n’y avait donc rien d’injuste à rappeler le nom du Vénitien à propos du Saint Symphorien; mais il faut reconnaître que l’œuvre du peintre français se