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aucun obstacle quand le jour de l’exécution est arrivé. Les travaux d’assèchement ont pour eux un intérêt suprême. La sûreté du pays est au prix du zèle que les habitans témoignent pour de tels sacrifices. L’eau appelle l’eau, les lacs appellent la mer : par ces lacs parasites, l’Océan a déjà, on peut le dire, un pied dans les terres. Dessécher des bassins comme le lac de Harlem, c’est rejeter l’ennemi hors de l’intérieur du pays, c’est repousser en quelque sorte l’invasion. Une autre considération toute politique fait du système de dessèchement un système de vie ou de mort pour la Hollande. Cette revendication des terres que les eaux leur ont ravies équivaut pour les Hollandais à de véritables conquêtes. Un pays qui regorge d’habitans, et auquel le sol manque, se donne tout ce que la nature lui a refusé, quand il profite de son industrie pour s’élever au rang des premières puissances du second ordre. La race géante des Bataves a poussé jusqu’au bout du monde les conquêtes de la guerre, de la navigation et du commerce. Les Hollandais modernes n’ont même plus besoin de jeter de nouvelles colonies sur les côtes lointaines : pour étendre leur territoire, il leur suffit de rester chez eux. Ce peuple industrieux et honorable, dont les ancêtres ont fait la terreur des mers, trouvera désormais dans les machines de dessèchement les ressources qu’il demandait autrefois à l’éclat de ses armes. Un géographe hollandais donnait déjà, il y a deux siècles, à ses compatriotes le conseil d’agrandir leur territoire sans en étendre les limites :

Quis furor, o Batavi, peregrinas quaerere terras ?
Ecce alio terram littore quœris : — habes.

Nous avons vu quel avait été le berceau des Pays-Bas, et comment l’industrie néerlandaise avait transformé un désert marécageux en une des plus agréables contrées du globe. À qui sera la terre ? A la mer ou aux fleuves ? L’homme intervient en Hollande, et les conditions de la lutte sont changées. Malgré tous les avantages obtenus par l’industrie, quelques géologues ne se montrent point rassurés sur les résultats définitifs de cette victoire. La Hollande, disent-ils, est conquise sur la mer ; mais c’est une conquête que la mer reprendra tôt ou tard. Cette opinion est appuyée sur certains faits et contredite par d’autres. Si l’on regarde au cours ordinaire et logique des choses, on est plutôt porté à la confiance qu’à la crainte. Les forces de la nature n’augmentent point, tandis que la somme des moyens de réaction dont l’homme dispose sur le globe, et particulièrement en Hollande, pour résister aux élémens, augmente chaque jour avec la vapeur, avec les progrès des arts mécaniques, avec les lumières de