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et maniérée, une élégance chétive. Ce style énervé qui affadit les peintures d’Appiani, les estampes de Volpato et de Morghen, on le retrouve, sous des formes moins débiles, il est vrai, et plus correctes, dans les statues de Canova. Ici encore l’adresse matérielle tient lieu de sentiment profond. Le beau tourne à l’agréable, la vérité se rapetisse sous les caresses pour ainsi dire de ce ciseau, comme la matière même qu’il effleure semble changer de nature et perd son apparence robuste; le marbre devient albâtre en passant par les mains de Canova. Un artiste de cette trempe pouvait, en raison de ses qualités moyennes, satisfaire aux exigences du temps; mais il ne suffisait certes pas pour régénérer l’art et restaurer utilement le culte de l’antique. En popularisant les copies enjolivées des sculptures grecques ou romaines, il ne faisait que propager une mode assez récente encore, et donner une direction nouvelle à l’esprit d’imitation.

La nouveauté des modèles proposés aux artistes, tel fut en effet le principe des succès de Canova et le secret de son excessive importance. Depuis l’époque de la renaissance, les monumens antiques avaient à peu près perdu toute faveur auprès des peintres et des sculpteurs italiens. A partir de la seconde moitié du XVIIe siècle seulement, quelques archéologues s’étaient mis en devoir d’étudier soigneusement les ruines de l’ancienne Rome; mais leurs travaux, entrepris au point de vue de la science, n’intéressaient que d’assez loin l’art contemporain et les artistes. Dans le siècle suivant, les découvertes partielles de Pompeï et d’Herculanum, et surtout le musée fondé au Vatican par le pape Clément XIV, vinrent généraliser ce goût pour les recherches et activer le zèle des admirateurs de l’antiquité. Toutefois le mouvement n’était encore que scientifique. Nombre de savans étrangers s’établissaient à Rome et se groupaient autour de Winckelmann; mais, Raphaël Mengs excepté, aucun artiste de quelque: renom n’avait essayé, avant les vingt dernières années du XVIIIe siècle, de mettre en pratique les théories et les préceptes reconstitués d’après l’antique. Canova arriva donc à propos. Il trouvait le terrain préparé et avait affaire à des gens en humeur d’applaudir aux premiers simulacres de style grec que leur fournirait l’art moderne. Une fois proclamé le « continuateur de l’antique, » il garda jusqu’au bout les privilèges attachés à ce titre et l’autorité d’un chef d’école : autorité fâcheuse en ce sens qu’elle n’aboutit qu’à remplacer par une méthode tout aussi arbitraire l’ancienne méthode académique et à modifier seulement les formes de la convention. La révolution accomplie par Canova ne pouvait être et ne fut en effet favorable qu’au développement de quelques qualités artificielles, et les artistes crurent avoir assez fait pour la gloire de l’école, lorsqu’ils se furent épuisés à reproduire certains types en