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été frontière entre la Finlande et la Suède. De là on pouvait tirer une ligne divisant le golfe de Botnie en deux parties à peu près égales ; mais en tirant une ligne pareille du Kalix, c’était presque la totalité du golfe qui tomberait au pouvoir de la Russie, avec les îles nombreuses qu’il contient[1]. Qui assurait que les chancelleries russes ne se prévaudraient pas un jour de cette ligne naturelle de partage : à la Suède toutes les terres à l’ouest, tout l’orient à la Russie, y compris l’île de Gottland, qui naguère, en 1808, avait si vigoureusement repoussé l’invasion ?

Les représentations de la Suède n’étaient pas écoutées cependant, et la prolongation des hostilités ruinait le pays ; on devait craindre l’occupation même de la capitale, tout au moins l’intervention du tsar dans les affaires intérieures : il fallut nécessairement traiter. On essaya d’obtenir que la Russie se chargeât d’une partie de la dette publique afférente à la part de la Finlande dans le budget, on demanda qu’elle s’engageât à ne point fortifier les Aland : efforts inutiles. Les plénipotentiaires suédois, Stedingk et Skiöldebrand, réunis avec le ministre russe Romanzof dans la petite ville de Frederikshamn pour les négociations, recevaient mille politesses ; ils se voyaient servis par un nombreux domestique portant la livrée du tsar, qui semblait leur faire les honneurs de ses nouveaux domaines. Romanzof surtout, dont l’éducation et la politesse étaient toutes françaises, les traitait avec la plus grande courtoisie, mais ne leur faisait aucune concession. « Songez bien, leur dit-il un jour, qu’en signant la paix et en rétablissant une légation à Stockholm, nous reconnaissons votre révolution et votre nouveau gouvernement, sans nous mêler en rien de vos affaires intérieures. Ne comptez pas sur la France. Elle vous a livrés à nous. En pareilles circonstances, les événemens décideront, et ce qui vous est offert aujourd’hui pourrait bien vous manquer demain. »

On comprend la douleur des négociateurs suédois. Skiöldebrand ne put contenir son ressentiment. Il osa dire en face au ministre russe : « Comment l’histoire jugera-t-elle votre maître, qui, non content de nous avoir attaqués injustement, abuse de nos embarras actuels pour nous dépouiller de tout ce qu’il peut nous ravir ? » Alexandre consentit cependant à une légère concession. Le 15 septembre 1809, Romanzof vint trouver les plénipotentiaires suédois ; il avait reçu du tsar une lettre autographe avec une petite carte de Suède et de Finlande : « Tenez, messieurs, dit-il, l’empereur mon maître, pour la fin de notre négociation, a réservé au roi de Suède,

  1. Mémoire adressé par Essen et Lagerbielke au duc de Cadore, octobre 1809. Manuscrit conservé aux affaires étrangères, à Paris.