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aime, et l’amour qui remplit son cœur semble donner la vie à toutes les merveilles du printemps. Nouveau printemps du cœur, nouveau printemps de l’année, ces harmonies se combinent ensemble avec une singulière poésie. La prairie est verte et parfumée, le tilleul exhale ses suaves odeurs, le rossignol amoureux de la rose entonne sa longue chanson, où l’oreille du poète a surpris maints sanglots ; tout l’orchestre de la forêt exécute la partition des matinées printanières, et l’on aperçoit derrière les châtaigniers sombres la blanche villa où repose la bien-aimée. Si le frais tableau se décolore vers la fin, si les brûlantes ardeurs de l’été et les brouillards de l’automne effacent les nuances délicates du pastel, l’ironie du moins n’apparaît que sous une forme discrète ; c’est une plainte surtout, une plainte amère et douce. Mais à quoi bon tant de commentaires ? Si notre traduction, aidée du travail de M. Henri Heine, rend fidèlement le modèle, ce groupe de Lieder doit prendre l’essor comme une volée d’oiseaux et produire un accord musical qui se prolonge de lui-même dans l’esprit du lecteur.




Dans les galeries de tableaux du temps de la Pompadour, on voit souvent l’image d’un chevalier qui se dispose à partir pour le combat, armé de pied en cap, la lance à la main, le bouclier au bras.

Or de petits amours lutins le provoquent, lui dérobent son bouclier et sa lance, et l’enlacent avec des chaînes de fleurs, malgré sa résistance et ses murmures.

Ainsi en de charmantes entraves je me débats, avec un mélange de joie et de peine, tandis que d’autres sont obligés de se battre dans la grande bataille de la liberté.


I.

Assis sous un arbre blanc de givre, tu entends au loin le vent siffler ; tu vois là-haut les nuages muets s’envelopper d’un voile de brouillards.

Tu vois comme la forêt et la prairie sont mortes, comme elles sont rasées et chauves. L’hiver est autour de toi, en toi aussi est l’hiver, et ton cœur est glacé.

Tout à coup tombent sur toi de blancs flocons, et déjà tu te figures avec dépit que l’arbre a secoué sur ton front sa poussière de neige.

Mais ce n’est point de la poussière de neige, tu t’en aperçois bientôt avec un joyeux saisissement : ce sont les fleurs embaumées du printemps qui t’enveloppent et te lutinent.

Enchantement aux doux frissons ! l’hiver se transforme en mois de mai, la neige se change en fleurs printanières, et ton cœur aime de nouveau.