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les chevaux, les bœufs et les moutons sont les principaux habitans ; mais durant toute l’année de tièdes colonnes de fumée, s’élevant paresseusement des profondeurs de la forêt, témoignent de la présence de ce demi-sauvage le charbonnier, et au commencement du printemps des ondulations de légère vapeur indiquent que le fabricant de sucre d’érable s’est mis à l’ouvrage. Quant à la profession de laboureur, elle est presque inconnue dans cette contrée maigre et pierreuse, dont toutes les parties arables ont été depuis longtemps épuisées.

Cependant cette contrée n’a pas été toujours aussi abandonnée et aussi stérile. C’est là que s’établirent les premiers colons, qui préférèrent d’abord ces hauteurs salubres et pauvres aux vallées plus riches, mais remplies des miasmes et de l’humidité d’une nature primitive non transformée par la main de l’homme. Peu à peu cependant ils désertèrent ces hauteurs et descendirent dans la vallée ; aussi ces villages de la montagne présentent-ils un aspect singulier de désolation : on dirait qu’ils ont été visités par la peste ou la guerre. De loin en loin on rencontre une maison entièrement abandonnée. La solide charpente de ces anciennes habitations leur permet de résister aux ravages du temps. Tachées de gris et de vert par la pluie, ces habitations portent pour ainsi dire les couleurs du paysage environnant et ne font qu’un avec lui. Un de leurs caractères est l’immense cheminée en pierres grises qui s’élance du milieu du toit comme une cloche ou une tour. Les vestiges de l’ancienne activité sont encore visibles partout. La pierre abondant dans ces montagnes, les premiers colons remplacèrent les haies par des murailles épaisses et hautes. En vérité, quand on considère la hauteur et l’étendue de ces murs, les énormes blocs qui les composent, on croit voir une œuvre de titans. Que les premiers colons aient pris d’aussi rudes peines pour enclore un sol aussi ingrat, cela indique assez de quelle trempe solide était le caractère des hommes de la révolution. Aujourd’hui encore les meilleurs maçons viennent de ces contrées montagneuses.

C’est au milieu de ce paysage que naquit Israël Potter, qui certes, à l’époque où il menait paître les bestiaux de son père sur les collines de la Nouvelle-Angleterre, ne songeait pas qu’il viendrait un jour où il serait traqué comme rebelle fugitif à travers une moitié de la vieille Angleterre, qu’il échangerait les fraîches vapeurs de ses montagnes pour le fog épais de Londres, et que lui, l’enfant né sur les bords de l’étincelant et pur Housaton, irait passer la meilleure partie de sa vie, pauvre et mendiant, sur les bords de la Tamise.

La vie errante d’Israël Potter commença de bonne heure. À dix-huit ans, il s’émancipa du joug paternel. Il s’était pris d’amour pour