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et cela au départ, que le secrétaire de Charles XII avait été tué au milieu de cette courte expédition.

Pendant que s’opérait le transport des troupes, sans encombre et avec beaucoup d’ordre, et quand la forteresse n’était pas encore entièrement évacuée, tout à coup survient un ordre royal d’arrêter toutes les opérations ; deux heures après, un autre message ordonne de les reprendre et de les pousser vigoureusement. Lorsque, le lendemain, le général Wrede interrogea Gustave à ce sujet, le roi répondit, après l’avoir regardé d’un air mystérieux : « Écoutez-moi, vous avez ma confiance… Voyez-vous, dit-il en montrant au général l’ongle de son pouce, voyez-vous ici cette petite tache blanche ? — Oui, sire. — Aussi longtemps que cette tache conserve sa blancheur, le bonheur doit me sourire ; quand elle pâlit, cela signifie malheur. Comme je remarquai hier au soir que son éclat s’altérait, je fis interrompre le mouvement des troupes ; je l’ai fait reprendre quand elle eut retrouvé sa blancheur ordinaire, et vous voyez que tout nous a réussi. »

Mais ce n’était pas assez de sauver la garnison de Stralsund ; les Français, entrés dans cette place le 20 août, menaçaient déjà de faire une descente dans l’île de Rügen, et Gustave s’obstinait plus opiniâtrement que jamais à ne point traiter. « Rien ne saurait m’y engager, écrivait-il alors même au duc de Brunswick-Oels ; ce serait signer mon malheur dans ce monde et ma damnation dans l’autre. » Heureusement Gustave, mal soutenu par un tempérament faible et valétudinaire contre les réactions de son irritation habituelle et de sa fiévreuse activité, tomba malade et se trouva incapable d’exercer le commandement. Il fallait, dans les circonstances qui menaçaient déjà si gravement la Suède et en présence d’un roi presque insensé, quelques hommes assez dévoués à leur pays pour assumer sur leur tête une responsabilité redoutable. Le général Toll, qui l’accompagnait dans Rügen, montra cette résolution et ce dévouement. Voici la curieuse scène qui se passa au quartier-général de Gustave le 6 septembre 1807. Le roi malade était étendu sur un sopha ; Fssen, Toll et Wetterstedt, le secrétaire du cabinet, se trouvaient réunis autour de lui pour délibérer sur la marche des affaires. Après quelques détails indifférens, Toll parla des dangers qu’offrait une invasion prochaine des Français dans l’île. Il fallait, disait-il, aviser au plus vite aux moyens de traiter avec eux, pour que tout au moins la Suède ne perdit pas, dans l’extrémité où elle était déjà réduite, l’armée qui avait défendu Stralsund, et qui devait préserver la Scanie. Il demandait que le roi lui donnât à cet effet des pleins pouvoirs. Gustave lui ordonna de rédiger ses argumens, puis, après une longue hésitation et non sans une visible répugnance, il écrivit au bas ces lignes : « En