Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il s’unisse à moi, qu’il subisse la loi de la nécessité, au moins pour quelque temps, et tout sera sauvé… J’ai 200,000 Français sur mes frontières, et je n’ai que 100,000 hommes pour leur tenir tête. — Mais votre majesté, dit Stedingk, peut refuser d’attaquer la Suède en déclarant que cela est contre son honneur et sa conscience ; Bonaparte se gardera bien de le trouver mauvais. Voyez la conduite de l’Autriche — l’Autriche, interrompit brusquement Alexandre, obéit à Bonaparte, et n’a d’autres volontés que les siennes ; j’en ai les preuves en mains ; l’Autriche est d’une soumission sans exemple… Stedingk terminait ainsi sa dépêche au roi de Suède : « Je ne puis dissimuler que je n’ai rien gagné sur le point principal. Le mal est sans remède. L’empereur Alexandre est attiré comme par une puissance irrésistible ; vers un abîme qui menace d’engloutir d’abord la Suède. Ses intentions ne sont peut-être pas mauvaises, mais il est tellement dominé par la terreur des Français, qu’il n’ose rien contre eux. Ses ministres, et les grands de son empire sont courbés sous la même crainte, et la haine profonde du comte Romanzof pour l’Angleterre lui fait penser qu’il ne restera au pouvoir qu’en se jetant dans les bras de la France. »

Cette curieuse conversation entre Alexandre et Stedingk avait lieu le 16 février 1808, et l’invasion de la Finlande par l’armée russe est du 20 de ce mois. Alexandre pouvait-il être de bonne foi lorsqu’il protestait de son dévotement envers Gustave IV, dont il allait envahir le territoire quelques jours après ? M. Thiers pense qu’il n’y a pas de raison d’en douter. Il croit qu’Alexandre ne désirait pas alors et ne désira jamais la conquête de la Finlande, qu’il ne s’y détermina que sur les instances de Napoléon voulant forcer par tous les moyens le roi de Suède à fermer le Sund aux Anglais, et dans l’espoir d’obtenir du maître de l’Europe la possession bien plus importante à son gré de la Moldavie et de la Valachie. — D’une part, nous savons que les assertions de l’illustre, historien du consulat et de l’empire reposent sur de graves et précieux documens, sur un grand respect de la vérité historique, et sur un jugement d’une rare sûreté ; d’autre part, il en coûte à qui respecte les hommes de paraître empressé à saisir les premières apparences du mensonge et de l’insigne mauvaise foi, et de les rencontrer justement parmi ceux qui sont placés à la tête de leurs semblables ; mais il s’agit enfin d’un épisode mal connu de nos annales contemporaines, dont nous subissons aujourd’hui les conséquences, dont l’intelligence importe peut-être à la direction de la lutte dans laquelle notre pays et l’Europe sont engagés et certainement à la moralité de l’histoire. — Il est vrai que la campagne de Finlande ne fut point populaire à Saint-Pétersbourg, mais par cet unique motif qu’elle était la conséquence d’une alliance