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tout sens, occupés, les uns de hâter le départ, les autres de le prévenir. Les habitans de Stockholm, pour qui l’entreprise projetée commençait à n’être plus un secret, circulaient par les rues et entouraient le château. L’attente de grands événemens était peinte sur tous les visages, mais rien de plus ; cette foule paraissait indifférente. Avec cette curiosité inepte de la multitude prête à obéir aux destinées que lui préparaient quelques hommes courageux, elle regardait le château et en interrogeait des yeux les portes et les fenêtres. Cette vague inquiétude ne laissait pas d’être le pressentiment de la gravité du drame qui allait s’y accomplir.

Après s’être entendu de nouveau avec les plus hauts fonctionnaires et les principaux-officiers de la garnison, Adlercreutz, à huit heures du matin, se rend avec le comte de Klingspor au château. Il y trouve ses aides de camp, comme il était convenu. Il ordonne quelques dispositions intérieures : comme les drabans ni les soldats de la garde allemande ne savent rien du complot, il les disperse, il les éloigne autant que possible ; ils sont d’ailleurs peu nombreux, plus de trente officiers répandus dans le château les surveilleront, et l’on peut compter en ville sur presque toute la garnison.

Le roi donnait quelques audiences. Il venait de faire appeler le duc de Sudermanie ; il mande aussi le comte de Klingspor. Quelques instans après, on l’entend se livrer à un de ces emportemens qui lui étaient devenus habituels : le sujet de la querelle était le refus du duc de Sudermanie de se rendre a Gripsholm suivant l’ordre du roi, et l’assurance de Klingspor que le départ royal allait être le signal des plus grands malheurs, qu’il fallait rester et convoquer la diète, unique refuge. Adlercreutz juge que le moment est venu d’en finir. « Suivez-moi, messieurs, » dit-il à ses aides de camp, et il entre dans la chambre où se trouve le roi. On se figure l’étonnement de Gustave en le voyant entrer de lui-même avec six officiers. « Sire, dit aussitôt Adlercreutz, la nation est consternée de voir votre majesté quitter sa capitale dans les circonstances difficiles où nous sommes. Les hauts fonctionnaires, l’armée et tous les bons citoyens m’ont chargé de prévenir une mesure aussi funeste, et nous venons…— Qu’est-ce que cela veut dire ? s’écrie le roi avec violence. Il n’y a que des factieux et des traîtres qui puissent parler ainsi ! — Sire, répondent les officiers, nous venons pour sauver votre majesté et notre patrie ; nous ne sommes ni factieux ni traîtres. — Je vous dis que c’est de la trahison, répond Gustave d’une voix forte, et vous êtes tous perdus, si vous continuez de la sorte. » Et comme Adlercreutz approchait, le roi, reculant un peu, tire son épée et dit : « Personne ne m’enlèvera ce fer, sinon avec la vie. » Il fallait empêcher à tout prix une rixe sanglante ; Adlercreutz s’élance sur le roi et le saisit des