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se fût arrangé à l’amiable, si une circonstance tout à fait imprévue n’était venue y mettre fin.

On est à la fin de l’hiver ; une neige épaisse couvre encore le sol, mais déjà la température annonce le printemps. La vieille Anna est assise avec Vania devant le perron qui donne sur la cour, et son tablier est rempli de petits gâteaux moulés en forme d’oiseaux ; elle les jette sur le toit l’un après l’autre, et sa douce physionomie est rayonnante de bonheur. Au moment où elle se livre à cette occupation, un paysan très mal vêtu, accompagné d’un enfant d’une dizaine d’années, paraît sur le sentier de la forêt ; lorsqu’il est arrivé à quelques pas d’Anna, il la salue respectueusement. La bonne vieille pousse une exclamation ; elle vient de reconnaître un de ses parens éloignés qu’elle avait perdu de vue depuis bien des années. L’homme qui vient de se présenter inopinément devant Anna se nomme Akime. Il est d’un village des environs. À la mort de son père, il a hérité d’une isba bien construite, de plusieurs chevaux et de quelques pièces de bétail ; néanmoins, peu habitué au travail dans son enfance, il a bientôt vu la misère succéder à sa rustique opulence. Tour à tour marinier, meunier, berger, il en est venu à mener la vie de l’ouvrier nomade, et on ne l’a vu se fixer qu’une seule fois chez la femme d’un soldat, dans un village du gouvernement de Toula. Comment a-t-il pu rester cinq ans au service de cette femme, connue pour sa dureté impitoyable ? Un enfant que la mégère avait mis au monde un an après l’arrivée d’Akime explique cette patience. À la mort de son hôtesse, Akime a chargé l’orphelin sur son dos, et après plusieurs démarches infructueuses pour trouver du travail, il vient frapper à la porte de Gleb le pêcheur. La vieille Anna accueille avec joie sa demande ; mais son mari se montrera-t-il aussi charitable ? Elle tremble qu’il ne refuse ; elle indique à Akime toutes les précautions qu’il faut prendre, et celui-ci promet de les suivre de point en point. Bref l’oncle Akime est reçu dans la maison de Gleb ; celui-ci a calculé en effet que l’enfant dont Akime est accompagné pourra avec le temps devenir un bon ouvrier. Au moment même où ces nouveaux hôtes s’installent sous le toit paternel, Petre obtient de Gleb la permission depuis longtemps sollicitée, celle de chercher du travail dans un riche village des environs, et il part avec son frère Vassili, laissant sa femme et ses enfans sous la garde du pêcheur.

L’oncle Akime est désormais le plus heureux des hommes ; mais le petit Grichka, l’enfant qu’il a adopté, est beaucoup moins satisfait, il veut repartir. Grichka, il faut bien le dire, est peu digne d’intérêt : il est vicieux et sournois. Quelques corrections cependant le remettent sur le droit chemin, et on le voit bientôt se lier avec l’aimable et doux Vania, le plus jeune des fils du pêcheur. Un jour ils conduisent